Mon grand-père, de la reichsbahn au 1er BCP

A la déclaration de guerre, il est apprenti à la SNCF à Mulhouse. Très vite, avant que la débâcle n’arrive, on lui propose d’être transféré à Belfort pour être plus proche de ses parents, restés à Lauw (près de Masevaux). François accepte mais, dès l’armistice, est à nouveau déplacé à Mulhouse dans un centre d’entretien.

Il reste à la Deutsche ReichsBahn (le chemin de fer du Reich) jusqu’à sa convocation au Reichsarbeitsdienst (RAD) le 31 mars 1943. Comme tous les jeunes de son âge, il doit effectuer pendant plusieurs mois des travaux en Allemagne (déblaiement des villes bombardées, creusement de fossés, construction de bunkers,…). C’est l’équivalent du Service du Travail Obligatoire (STO) mis en place par le régime de Vichy. Ne faisant parti d’aucun parti politique ou organisme du parti Nazi (Hitlerjugen, SS, NSKK…), François est envoyé dans le camp de Xanten où les conditions sont particulièrement rudes. Il est affecté au déblaiement de Duisburg, bombardé au phosphore par les américains, il restera marqué à vie par cet épisode, en particulier de l'odeur et de l'horreur des bombardements. Il y reste 6 mois jusqu'en septembre 1943... Le Centre de recrutement de Thann lui envoie son avis de mobilisation. Il doit se présenter au centre sportif de Sennheim le 30 octobre 1943 à 8h30 pour être incorporé au Pionier-Ersatz- und Ausbildungs-Bataillon 34 (unité du génie) faisant parti de la Division Nr. 172 (qui deviendra une division de réserve en novembre 1944).Cet unité de formation devait apprendre les "arts de la guerre" aux jeunes recrues avant de les envoyer au front. Au cours du transport en train vers son unité, François arrive à s’échapper pendant une alerte anti-aérienne en gare de Duisburg. La chance est avec lui, il porte encore ses habits civils et connais bien le monde ferroviaire.

De là, il part à Mulhouse dans un train de marchandises. Heureusement, il a conservé sa carte de cheminot, ce qui l’aide grandement. De plus, des collègues l’aident volontiers à fuir. Il fait le trajet Mulhouse-Belfort à pied. En 2 nuits et une halte à Lauw, avec un adieu à son village natal, avant de repartir. Il se dirige ensuite vers la Suisse où il est arrêté puis interrogé par les autorités fédérales. Au moment de son procès-verbal (2/11/1943), il change sa date de naissance (23/08/1923) en se vieillissant de deux ans. En effet, la majorité était à l’époque de 21 ans et on avait conseillé à François de ne pas aller dans les prisons pour mineurs. Il passe par deux prison et fini par être interné au camp de Lajoux le 17 décembre en tant que réfugié. Il devient peu après son arrivé infirmier puis ordonnance du chef de camp. A Lajoux, François écrit de nombreux poèmes et chansons qu’il a conservés. Après de nombreuses péripéties, la France libre prend contact avec le camp en vue de la création prochaine de deux unités : le 1er et 4ème BCP.
Il « s’engage » ensuite au sein de la 3ème compagnie du 1er Bataillon de Chasseur à Pied avec lequel François  participera à la libération de Seppois le Bas, premier village alsacien libéré le 19 novembre 44. Au cours de la bataille pour la libération de ce village, il se trouve sur la route de Courtelevent-Seppois, à deux kilomètres au-dessus de Seppois le Bas. Il fait face à des soldats de la 30. Waffen-Grenadier-Division der SS (division principalement composée de volontaires des pays de l’est) et à des chars Tigre (Panzer VI). Il participe ensuite à la libération de Mulhouse (21/11/1944) où il reçoit vraisemblablement son casque Adrian, en remplacement du casque américain. À partir du 8 décembre 1944, François est « mis en congé par le 1er BCP pour une durée illimitée ».
Il rentre donc, avec son cousin Maurice, à la maison de ses parents à Lauw en auto-stop. Maurice est lui aussi réfractaire à son incorporation dans la Wehrmacht, il s’est réfugié en Suisse et a également rejoint le 1er BCP, intégré dans la 9ème Division d’Infanterie Coloniale. Il restera pendant de longs mois chez lui, à réparer la maison, en particulier le toit. Il part également régulièrement faire des courses à Colmar, travaille avec Maurice, et fait des tours de gardes avec les FFI. Des artilleurs US stationnent aux alentours, il y a des canons de 105 mm courts, de 155 mm, de la DCA… Il y a régulièrement des victimes civiles mais surtout militaires, dues aux mines, tirs d’artillerie et balles perdues.
Mais le retour dans son domicile ne le réconforte pas pour autant, ses parents ont été déportés entre novembre et fin décembre 43 (déporté « pour l’exemple » en représailles de l’évasion de François).Ils passent d’abord par le camp de « rééducation » de Schirmeck en Alsace puis au camp de Breslau, ce camp est une « annexe » de celui de Gross-Rosen. De plus, ses 3 plus jeunes sœurs (qui sont restées seules à la maison durant 6 mois !) sont également déportées depuis le 6 avril 44. « Heureusement », les enfants arrivent à retrouver leurs parents dans le camp. Toute la famille est revenue saine et sauve à la fin du conflit mais profondément marquée par les évènements. Ils ont été libérés par l’armée rouge début 1945 mais ne seront rapatriés qu’après plusieurs mois. La plus jeune des sœurs avait 7 ans au moment où elle est partie de son village… Ils n’ont jamais souhaité en parler.

Il passe noël 44 seul, malade, n’arrive pas à dormir… Début 45, il reprend les travaux, coupe des arbres et prend même le temps de mettre de l’eau de vie en bouteille. Le 14 mars, il reçoit son ordre pour le rappel sous les drapeaux, c’est pour lui la « fin de tous les beaux projets ». François part le 22 mars pour Colmar, il est incorporé au 23ème Régiment d’Infanterie, récemment reformé car dissout après la défaite française de juin 1940. Heureusement, il est démobilisé le 31.

Il doit à nouveau rejoindre l’armée. N’ayant pas effectué son service militaire pour la France, on  veut l’envoyer en Indochine. François refuse, expliquant son cas et la déportation de sa famille. Ses supérieurs consentent à le laisser en France métropolitaine,  il sera affecté au centre de recrutement de Colmar puis à une compagnie de garde. François va entraîner les jeunes recrues jusqu’en 47, date à laquelle il arrive à rompre son contrat de 5 ans avec l’armée. Cette période sera loin d’être la pire du conflit, il raconta à de nombreuses reprises des anecdotes cocasses, en particulier sur un Noël (surement 1945) où il arriva avec quelques camarades à faire une belle petite fête en « empruntant » des bouteilles aux officiers et du charbon dans la réserve d’une gare et en coupant un sapin dans une forêt. Après la fin de sa « carrière » militaire, il reprend,  avec quelques difficultés administratives, son travail à la SNCF…