Vichy et la promotion de l'Empire colonial : 1941-1942

Bonsoir à tous,

voici une rentrée très intéressante, qui me permet de faire un petit écrit sur la façon dont Vichy a mis en valeur l'Empire colonial lors de deux manifestations d'ampleur nationale : la Semaine de la France d'Outre-mer en 1941, et la Quinzaine impériale (document reçu aujourd'hui), en 1942.




Voici donc mon écrit au sujet de ces deux moments importants pour Vichy dans sa quête de conservation de l'Empire colonial.


Alors que l'Empire colonial français fait l'objet d'une vive dispute entre l’État français et la France libre (relatée notamment par mes soins ici : https://www.passionmilitaria.com/t111638-l-empire-colonial-vichy-et-la-france-libre-histoire-d-une-rivalite ), Vichy tente de promouvoir, par l'intermédiaire de deux moments, cet Empire, afin de consolider dans l'esprit des Français à la fois l'esprit impérial et les ressources immenses produites dans les colonies, mais aussi réaffirmer le fait que, selon la vision pétainiste, l'Empire est la propriété de la Révolution nationale, de cette France métropolitaine. Face à l'armistice, face aux restrictions imposées par les Allemands, l'Empire reste aux yeux de Pétain et de Vichy le seul vestige de la grandeur du pays sur la scène internationale. Il faut aussi maintenir une certaine continuité d'esprit et une continuité territoriale, notamment avec les territoires du Maghreb (Algérie, Maroc et Tunisie).

Préalablement, dans les grandes villes françaises se sont tenues des sortes d'«expositions coloniales», depuis 1940, afin de conserver en chacun l'esprit et les vocations coloniales.

Du 15 au 22 juillet 1941, c'est la Semaine de la France d’Outre-mer. Lors de cette semaine, films de propagande, revues et documents (comme ceux présentés en ci-dessous), permettent aux Français, et notamment aux jeunes, de se faire une idée du monde colonial français et de sa diversité. Tous les coloniaux sont mis en avant : de l'agriculteur au banquier, de l'instituteur au missionnaire, sans oublier les Troupes coloniales. Le maréchal Pétain inaugure en grande pompe cette semaine par un discours prononcé le 13 juillet 1941 à Vichy :

FRANÇAIS !
En inaugurant aujourd'hui la Semaine de la France d'Outre-Mer, ma pensée va vers nos compatriotes de l'Empire, dont le loyalisme et l'ardeur ont permis à la Patrie blessée d'entreprendre son relèvement.
Je pense aux fonctionnaires, aux colons, aux agriculteurs, aux ingénieurs qui se sont remis au travail avec courage et confiance.
Je pense aux populations indigènes qui, dans le malheur de la Patrie, ont conservé leur amour et leur confiance à la grande nation qui les a toujours aimés et protégés.
Ma pensée va aussi à nos troupes vaillantes, à nos soldats de la légion et de l'infanterie coloniale, à nos marins, à nos aviateurs qui se sont battus avec un héroïsme qui force l'admiration du monde, en des terres lointaines conquises par leurs glorieux prédécesseurs.
Malgré quelques défections criminelles, tous se sont groupés autour du drapeau pour défendre l'unité de l'Empire et les liens sacrés qui l'unissent à la Métropole.
Je les cite en exemple à tous les Français, à notre jeunesse, qui comprend chaque jour davantage la mission de la France.
C'est à une pieuse veillée qui je vous convie, Français, en songeant que dans l'univers entier bat un peu du coeur de la France.


Deux objectifs sont visés lors de cette manifestation : redonner le goût de l'Empire chez les jeunes français, redonner le goût de l'effort physique, par des manifestations sportives. Des activités sont proposées en métropole et dans les colonies, afin de solidifier les liens. Les gouvernements généraux se chargent de relayer les directives de Vichy quant à cette Semaine. La presse, même régionale, se fait l'écho de cette Semaine. Même de grands quotidiens spécialisés, comme le journal de la Ligue maritime et coloniale, l'Auto publient des éditos, des articles à son sujet, mais des éditos et des articles soigneusement policés, préparés par l'Agence économique des colonies.
Dans les écoles, les maîtres étaient invités à emmener leurs élèves lors des manifestations organisées pendant cette Semaine estivale. Dans les établissements secondaires, la Ligue maritime et coloniale organisait des sortes de conférence, plutôt obligatoires pour les élèves, sur le thème colonial. Le sport est l'élément moteur de la Semaine coloniale. Pas moins de 150 sportifs de métropole rencontrent leurs homologues des colonies et protectorats dans différents sports comme le rugby, le basket-ball, l'escrime, le football. Les rencontres se déroulent toutes dans les grandes villes maghrébines : Oran, Constantine, Meknès, Tunis, Fez, Marrakech, pour ne citer qu'elles. A travers ces rencontres, Vichy veut promouvoir ce qu'il appelle « l'union des races » autour du drapeau bleu, blanc, rouge. C'est la « plus grande France » qui est célébrée à travers ces matchs amicaux, où l'on note la présence des autorités civiles et militaires, des mouvements de jeunesse, comme les Scouts de France. Il est important de rassurer les Français sur la puissance d'un Empire que Vichy voit être convoité par les Britanniques et les Français libres. On insiste alors sur les figures coloniales, comme Lyautey.

Voici donc en image un des documents mettant en avant cette France de l'Empire : brochure intitulée "Français ! Vous avez un Empire" pour cette Semaine de la France d'Outre-mer :







Un an plus tard, afin de réaffirmer l'attachement impérial, la Quinzaine impériale est organisée dans la dixième moitié du mois de mai 1942, du 15 au 31 mai. On ajoute aux manifestations de l'année précédente des épreuves sportives réunissant des athlètes de tout l'Empire. Nombreux sont les vainqueurs venus du Maghreb français. Les manifestations sportives se déroulèrent dans quatre villes de métropole : Vichy, Lyon, Toulouse et Marseille. Là, les autorités locales accueillent les athlètes coloniaux (80 au total, répartis de la façon suivante : 20 Algériens, 20 Marocains, 20 Tunisiens, et 20 athlètes de l'Afrique occidentale française). A la différence des manifestations dans l'Empire, Vichy peut faire appel à plus de monde dans ces quatre grandes villes, et notamment des mouvements de jeunesse, même si certains ont peu d'audience : les «Jeunes du Maréchal», «Jeunes France», la «Ligue des Jeunes de France et de l'Empire». Le train des colonies vient appuyer ces mouvements pour montrer concrètement aux Français la façon dont la France a mis en valeur, et continue de le faire, les denrées et richesses coloniales aux quatre coins du globe : Antilles, Afrique, Asie. Financé par la Ligue maritime et coloniale, ce train, composé de cinq wagons thématiques, a pour but de célébrer la "mission civilisatrice" de la France : statues, produits coloniaux, denrées coloniales, paysages indochinois, africains, antillais sont montrés aux visiteurs.
Cette quinzaine coloniale a une meilleure audience que la Semaine de la France d'Outre-mer, du fait du contexte politico-militaire de l'année 1942, et de la pression alliée sur les territoires français en Afrique.
Comme pour la Semaine coloniale, le Secrétariat général de l'Information et l'Agence économique des colonies éditent des brochures à destination notamment de la jeunesse de France, pour lui faire découvrir, lui présenter les grandes figures ayant marqué la colonisation. Ce sont les documents que je vous présente là : la brochure intitulée «Quinzaine impériale – Vocations coloniales» a pour but de faire des portraits de grands coloniaux : Champlain (XVIIème siècle), Henri de Bournazel, Joost van Vollenhoven, Paul Jamot, Francis Garnier. Sur une petite feuille de papier d'époque, une biographie de Lyautey vient compléter ce parcours des grands coloniaux français.
On fait découvrir également la Côte française des Somalis, le génie colonisateur de la France (on en revient ici à l'idée de «mission civilisatrice», au travers de phrases assez simples et compréhensibles de tous : « Penser à l'Empire doit donc être la loi de notre vie » ; «Franchissons les mers pour retrouver dans ces terres fraternelles, riches d'une civilisation sœur de la notre, le sens de la grandeur et de la fierté,  l'eau lustrale des renaissances,  et les sèves vigoureuses qui fécondent le présent et préparent les moissons futures»). On insiste davantage sur le lien entre la terre de France de part et d'autres de la Méditerranée, moins sur l'inégalité de situation entre colons et colonisés.









Pour réaliser ces deux manifestations d'envergure, l’État français n'a pas lésiné sur les moyens (près de 8 millions de francs pour la seule Semaine de la France d'Outre-mer). De plus, il peut compter sur le soutien moral, et logistique, de plusieurs organisations créées avant guerre, et restées quasiment toutes fidèles à Vichy : la Ligue maritime et coloniale, le comité France-Empire. Sur le plan institutionnel, ce sont les Agences économique des colonies, et le Secrétariat général  de l'Information qui sont chargés de mettre sur pied ces deux manifestations.

Il était donc question, lors de ces deux manifestations que furent la Semaine de la France d'Outre-mer en 1941, et la Quinzaine impériale, en 1942, de défendre l'idée d'une France unie à son Empire, une France qui ne doit pas céder les colonies à la France libre. On associe toutes les forces possibles de l’État français du Maréchal Pétain pour faire de ces deux manifestations des moments marquants de l'année : ministère et secrétariat d’État, chambres de commerce, associations civiles, mais très liées au pouvoir en place, jeunes et organisations de jeunesse. Les nombreuses cérémonies, levées de drapeau veulent montrer aux Français que Vichy maîtrise son Empire, qu'il a la main dessus, qu'il sait le contrôler. L'idée était également d'associer directement certaines colonies, en l'occurrence les territoires du Maghreb (qui n'étaient pas des colonies sur le papier, mais deux protectorats et trois départements) à la métropole dans la tenue de ces manifestations et la participation de certains de ses acteurs, comme les sportifs. Pour Vichy, il fallait former une « communauté nationale/coloniale » (Nicolas BANCEL), « censée subsumer les clivages, grâce à la métaphore égalitaire autorisée par les rencontres sportives ».

En appui de ces documents, des cartes sont éditées et largement diffusées (peu subsistent aujourd'hui, montrant cet Empire colonial). Voici la mienne :




Pour compléter le tout, voici le lien vous menant à une vidéo des Actualités cinématographiques, montrant les manifestations de la Quinzaine impériale : http://www.ina.fr/video/AFE85000903

Poddichini.

Salut

Merci du partage l'ami, j'aime bien la carte....

Hello Phil et merci.

Oui, la carte est tout à fait intéressante.

Poddichini

Carte vraiment interessante en effet,
Vos présentations (articles) sur les colonies Vêtements/casques/documents sont vraiment intéressantes,
Merci à vous Poddichini,

Yann,

Merci pour ce post très intéressant et détaillé.

Bonjour yannou8829 et uboot29,

merci à vous pour vos sympathqiues commentaires

Poddichini.

Petit ajout sur ce thème : la série de timbres postes émis à l'occasion de la quinzaine impériale

Bonjour Istarnich,

en effet, un timbre spécifique a été édité à l'occasion. Il nous montre bien quel type de public est visé lors de ces deux semaines de promotion des colonies.

Poddichini.

Bonjour,

un petit complément pour mon écrit : extrait du Journal de Vienne et de l'Isère, en date du 18 avril 1942, annonçant la tenue de la Quinzaine impériale :

"Vers le milieu du mois prochain s'ouvrira la « Quinzaine impériale » dont les manifestations multiples seront un réconfort pour notre pays, un réconfort permettant les plus grands espoirs, puisque, au milieu des maux qui l'accablent, la France peut encore se tourner vers son Empire colonial, vers cet Empire dont elle a su conserver la confiance et dont le loyalisme à l'égard de la Patrie demeure le plus sûr témoignage.
La Quinzaine impériale aura pour mission de propager l'idée de la plus grande France, de gagner à la cause de nos possessions d'outre-mer des hommes nouveaux, en bref, d'orienter les élites de notre belle jeunesse vers les carrières coloniales pour aboutir à l'exploitation judicieuse des ressources de notre Empire Africain.
La politique de la France doit se tourner nettement vers le domaine colonial, vers la mise en valeur de ces immenses richesses dont une économie juste, judicieuse et sage doit assurer à la métropole autant qu'à ses dépendances, une florissante économie.
Le pays d'où partirent les Montcalm, les Jacques Cartier, les Bougainville, les Champlain, les Lapérouse, les Dupleix et plus près de nous les René Caillé, les Brazza, les Marchand, les Baratier, les Brunau de Laborie, les Lyautey, peut encore voir s'éveiller parmi ses jeunes des vocations coloniales, des énergies préparées aux plus grandes tâches et à cette tâche belle entre toute : l'expansion française.
A l'ombre de notre drapeau vivent des peuples auxquels nos explorateurs, nos missionnaires, nos colons, nos médecins, nos officiers, ont apporté les bienfaits de la civilisation, des peuples qui ont mis en nous toute leur confiance et leur estime.
Les méthodes colonisatrices de nos représentants, toutes de sollicitudes et de compréhension nous ont acquit la sympathie des indigènes qui nous donnent aujourd'hui une preuve de leur loyalisme.
C'est pour resserrer encore les liens qui unissent la métropole et ses dépendances que la Quinzaine impériale, par des conférences, des expositions, par la projection de film, par toutes sortes de manifestations publiques fera un large effort en faveur de la propagande coloniale.
Une connaissance plus approfondie de ces terres lointaines et mystérieuses éveillera sans doute en l'âme de notre jeunesse cette soif de l'inconnu, ce désir de conquête qui sont la vocation du colon.
Ces vocations il faut qu'elles se révèlent, c'est une question d'intérêt vital pour le pays tant au point de vue économique, qu'au point de vue politique. Il le faut pour les jeunes eux-mêmes auxquels ces vastes territoires aux multiples richesses, ouvrent de belles perspectives. Domptant cette terre encore sauvage, ils dompteront aussi leur âme qui, forte de toutes les énergies du vrai colonial, sera l'un des éléments les plus certains de la résurrection nationale."

Poddichini.

Bonsoir,
dans le même esprit concernant l'Empire Colonial cher au régime de l'Etat Français:
La revue ALGERIA de 1941 et deux revues de 1942 qui dépeignent l’ensemble de nos colonies en deux volumes....
Le premier Afrique du Nord et le second tout le reste: Madagascar, Indochine, Indes, AOF, AEF, Pacifique etc etc.
Cordialement

Merci pour ces compléments de documents médaille71. Sacré placard de médailles sur une des revues Algeria (un préfet ? Sous-préfet ?)

Poddichini

Merci à toi,
Le "beau placard" c'est Yves CHATEL gouverneur général adjoint de l'Algérie.
Cordialement.

Belle photo, merci pour l'info.

Poddichini

Châtel est l'exemple même du choix cornélien qu'ont dû faire les administrateurs coloniaux, de l'adjoint au gouverneur général : d'abord fidèles à Pétain jusqu'en 1942, puis beaucoup se rallient ensuite à Giraud, puis à De Gaulle. Dans son cas, il ne s'est rallié qu'à Giraud. Il quitte ses fonctions algériennes au moment de l'arrivée de De Gaulle. Il meurt en octobre 1944 au Portugal. 
Il a eu une belle carrière d'administrateur : résident au Laos, en Annam puis au Tonkin courant années 1930, avant donc d'être nommé en Algérie pendant le conflit.

Certains ont fait le choix de la France libre très tôt, comme aux Nouvelles-Hébrides (gouverneur Sautot), dans les comptoirs indiens (gouverneur Bonvin) dès 1940.


Poddichini

bonjour,
Concernant ton article, on fait aussi la part belle au scoutisme dans les colonies et aux "jeunesses marine"...

oui bonne analyse pour CHATEL....
Concernant le sujet des gouverneurs et la France Libre, je posterai un livre sympa sur un exemple bien typique...
Cdt

Je sors un peu du sujet de départ....
Voici juste pour rebondir sur ton commentaire sur le Gouverneur Chatel:
Le gouverneur de Tahiti Chastenet de Gery se ralia à de Gaulle et a l'Empire Britanique en septembre 1940.



Cdt

Merci pour les photos de cet ouvrage très intéressant. Photo du gouverneur magnifique !

Poddichini