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| Lettre à Jeanne | |
| | Auteur | Message |
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Lalloué Soldat
Nombre de messages : 5 Localisation : Aude Date d'inscription : 15/05/2008
| Sujet: Lettre à Jeanne Jeu 13 Nov 2008 - 21:31 | |
| Bonsoir, il y a des années, quand les décharges villageoises existaient encore, j'ai trouvé une lettre, écrite au crayon sur les 4 pages d'une feuille jaunie. Je l'ai déjà publiée dans mémoire des hommes, je crois, ou un site simolaire, et ailleurs. Autant qu'un long film, autant qu'un ouvrage d'historien, pour moi, cette lettre qui part du détail sordide pour arriver en plusieurs étapes à une vision générale des vanités et des horreurs de la guerre est à sauver de l'oubli (comme des milliers d'autres, j'en suis conscient). Cette lettre originale, dont j'ai le scan et que j'ai écrite, intacte, est celle d'un paysan d'un village voisin. J'ai la fiche de décés, trouvée sur le net, et la semaine passée, je suis allé voir ce nom et celui de son frère sur la plaque à l'entrée du cimetière de son village natal. J'ai aussi remis, depuis quelque temps, la lettre originale au petit neveu de ce soldat, tué à l'ennemi le 26 septembre 1915. Je le redis, les mots ont une force effrayante.
Mardi 6 avril 1915
Chère cousine Jeanne
Je viens de recevoir ta lettre qui m’a fait bien plaisir au moment où je sortais de ces tranchées où l’homme vit comme les bêtes sauvages. On creuse un trou dans la terre et l’on attend. Nous sommes en ligne de feu depuis le 18 mars. Avant nous étions à l’arrière dans la Marne au camp de Chalons à 20 kms de la ligne puis nous nous sommes rapprochés à 8 kms en réserve.
La grande bataille que l’on préparait pour faire la trouée a commencé le 10 mars. Nous étions 200.000h pour 5 corps d’armée. Pendant 14 jours l’artillerie a craché nuit et jour, c’était affreux. On croyait enfoncer la ligne mais on n’a pas réussi. On a pris 2 kilomètres de tranchée, on les a payés trés cher. Le 18, nous sommes partis pour porter secours et le soir à 4 heures, le 80° était en ligne.
C’est là que j’ai vu la vraie boucherie. Les bôches avaient abandonné les tranchées mais leur artillerie savait bien la distance de ces tranchées et chaque coup de canon qu’ils nous lançaient, c’était des 4 à 5 hommes blessés ou tués. Pendant 2 heures, c’était du feu, et l’enfer était sur nos têtes. A 5 heures, zouaves, fantassins et marocains sont allés à l’avant (ma compagnie était en réserve) mais ils ont été fauchés par les mitrailleuses bôches et obligés de revenir en arrière car les bôches sont bien outillés en engins de guerre puis ils ont vu le grand coup et eux aussi avaient du renfort. Le soir, nous avons passé la nuit sur place. Le lendemain, nous nous sommes aperçus que nous avons couché sur des cadavres bôches. Les tranchées étaient à moitié comblées de morts, il n’y avait qu’une légère couche de terre pour les couvrir. Le lendemain, 19, nous avons assisté de nouveau à la canonnade ; Nous étions chacun à nos postes mais à 3 heures de l’après-midi, ç’a été terrible. Les bôches furieux sont venus en masse sur nous pour nous reprendre la position car nous étions maîtres du bois qui était sur une petite hauteur et ils tenaient à le reprendre. Tout le monde s’est porté en avant et ç’a été terrible. C’est là que j’ai vu cette fameuse garde ( régiment de l’Empereur) qui est venue, colonel en tête, sur nous mais dans 20 minutes elle a été couchée à terre pour toujours. Nos mitrailleuses qui étaient cachées dans la terre les ont abattus, c’était affreux de voir ces choses. Puis nous avons été en 1° ligne à 30 mètres des bôches, c’était nuit et nous avons passé là toute la journée. Les bôches ont placé des fils de fer pour se protéger, nous aussi de notre coté nous avons fait de même.
Alors nous avons compris que cette grande bataille était finie. Nous avons reçu l’ordre de ne plus attaquer. Nous avons passé 8 jours en 1° ligne, puis nous avons été en arrière. Comme résultat, 1 général tué et 1380 hommes du 80° hors de combat, tués, blessés. Les autres régiments étaient comme nous, les cadavres à certains endroits avaient un mètre de hauteur. Français et bôches, on ne voyait que du monde couché ( c’était affreux, je le dis à toi qui est courageuse, à la maison je ne lui en parle pas, je lui dis le contraire) . Nous croyons passer 8 jours de repos mais après 24 heures nous sommes repartis pour un autre secteur. Là, ça a l’air d’être tranquille (nous sommes toujours dans la Marne du coté de Suippes, avant nous étions à la côte 196 - Mesnil les Hurlus). Les journaux n’ont jamais dit la vérité car nous voyons La Dépêche, c’est un lieutenant qui est instituteur qui la reçoit. Nous n’avons presque plus d’officiers, nous n’avons que des instituteurs en partie pour nous commander. Les officiers qui ont fait campagne depuis le début sont très rares. La guerre actuelle est impossible. Ils sont dans des tranchées et ils partiront quand ils voudront. Ils ne sont pas bien nombreux mais ils ont tout ce qu’il faut pour tuer du monde. J’ai assisté à 2 combats en Belgique, c’était dur mais jamais ça n’a été pareil à ce que nous avons vu. Des tranchées, ils en ont assez à l’avance et ils les construisent de manière à se protéger des obus.
Je ne sais quand finira cette maudite guerre. Je crois que le monde finira par refuser de se battre si cela continue. J’ai eu beaucoup de chance jusqu’à présent mais je ne sais si cela continuera. Des 3 frères qui sommes au feu, Emile était comme moi. Nous avons peu d’espoir de lui, il a été blessé le 4 février, j’ai écrit à son camarade, il m’a dit qu’il avait été blessé et qu’il n’avait pu savoir ce qu’il était devenu. Je donne toujours quelque espoir à la maison mais hélas je crois que le malheur sera bien vrai. J’avais 2 cousins qui étaient aussi aux coloniaux mais pareil sort a été. Il y a aussi le beau-frère d’Ernest Dhomp de Citou, le mari d’Augustine, François-Michel qui a été tué. Ils ont été tués tous à 8 kms d’où nous étions. C’est triste, la guerre.
A présent, nous sommes de nouveau dans les tranchées, nous avons reçu beaucoup de renforts, les jeunes de la classe 15 arrivent, les mois passent et c’est toujours pareil, c’est toujours les pauvres qui sont en 1° ligne, les riches, on les a fait partir mais ils sont en arrière, on les voit embusqués partout. C’est une honte lorsque nous avons traversé la ville de Chalons de voir tant de jeunes soldats embusqués qui se tenaient en arrière et qui n’iront jamais au feu.
Au commencement, on nous défendait de dire certaines choses mais à présent nous le disons, tout ça nous est bien égal si quelques monsieurs ça les gêne. Si tu tiens à savoir ce qui se passe, je te l’enverrai. Tu ne le diras pas à ma famille car tout ça je ne leur dis pas. Tu m’enverras une feuille et enveloppe car ici nous n’avons rien. Enfin brave cousine bien le bonjour sans oublier tante et ton cher Jean. Tu me donneras son adresse. Je pense souvent à vous. Adieu. Chiffre François.
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| | | Janjan Major
Nombre de messages : 228 Localisation : Alsace Date d'inscription : 20/04/2008
| Sujet: Re: Lettre à Jeanne Jeu 13 Nov 2008 - 23:08 | |
| Je trouve cette lettre très belle, et qu'il puisse raconté cette horreur m'étonne quelque peu. |
| | | Lalloué Soldat
Nombre de messages : 5 Localisation : Aude Date d'inscription : 15/05/2008
| Sujet: Re: Lettre à Jeanne Jeu 13 Nov 2008 - 23:43 | |
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| | | guillaumeb8777 Aspirant
Nombre de messages : 300 Age : 40 Localisation : 87 Thème de collection : Français Date d'inscription : 24/04/2008
| Sujet: Re: Lettre à Jeanne Dim 16 Nov 2008 - 15:41 | |
| émouvant, belle lettre, surement une des rares ou est décrite la verité....le neveu a qui tu as donné la lettre a du etre très emu non ? tu peux nous decrire comment tu l'a trouvé et quelle a été sa réaction ? cdlt guillaume |
| | | osnovi Caporal
Nombre de messages : 75 Age : 48 Localisation : Bretagne Date d'inscription : 18/06/2008
| Sujet: Re: Lettre à Jeanne Dim 16 Nov 2008 - 18:30 | |
| Trés belle lettre sur fond de dégout et de rébellion. |
| | | Lalloué Soldat
Nombre de messages : 5 Localisation : Aude Date d'inscription : 15/05/2008
| Sujet: Re: Lettre à Jeanne Lun 17 Nov 2008 - 20:47 | |
| Bonsoir, hélas pour l'histoire de cette lettre, ça s'est traduit pour moi par une fin en eau de boudin. Un ami du petit neveu ayant vu cette lettre que http://genemilassoc.fr/index.php a publiée suite à ma demande, le petit-neveu m'a contacté par téléphone, me demandant fort courtoisement l'origine de cette lettre, et sur ma proposition de la restituer à la famille, m'a demander de la remettre à son attention à des oncles et tantes âgés habitant mon village. Un accueil sympa, sans plus, de la part de ces personnes assez indifférentes à ma démarche. Point final, et j'en suis marri. Je le serais encore plus si je n'avais gardé et transmis la mémoire de cette lettre. Je ne manque pas, à chaque occasion qui m'en est donnée, de la faire connaître. C'est ça, le devoir de mémoire, je crois. JPL |
| | | jchfab Membre d'honneur
Nombre de messages : 36382 Age : 65 Localisation : PROVENCE Date d'inscription : 23/09/2008
| Sujet: Re: Lettre à Jeanne Mar 18 Nov 2008 - 16:50 | |
| Merci pour ce sauvetage . Grace a toi cet ecrit peut survivre. Au fait les lettres n etaient elles pas censurees a l epoque? Amities. |
| | | Lalloué Soldat
Nombre de messages : 5 Localisation : Aude Date d'inscription : 15/05/2008
| Sujet: Re: Lettre à Jeanne Mar 18 Nov 2008 - 22:00 | |
| bonsoir, il me semble qu'il y avait en gros deux types de censure: toutes les lettres à destination de l'étranger (ou des étrangers?) étaient vues par la censure; Sur le théâtre des opérations, la masse de courrier aurait sans doute mobilisé trop d'hommes potentiellement opérationnels dans une tranchée, et la censure se faisait par sondage: une proportion était lue, analysée, censurée si nécessaire, et évaluée (genre du projet Edvige d'aujourd'hui) JP |
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| Sujet: Re: Lettre à Jeanne | |
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| | | | Lettre à Jeanne | |
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