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 Début 1916 : Maurice Juncker conteste la politique d'Union Sacrée de la SFI0

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Cvirlo
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Début 1916 : Maurice Juncker conteste la politique d'Union Sacrée de la SFI0 Empty
MessageSujet: Début 1916 : Maurice Juncker conteste la politique d'Union Sacrée de la SFI0   Début 1916 : Maurice Juncker conteste la politique d'Union Sacrée de la SFI0 EmptyJeu 26 Déc 2019 - 10:58

Retrouvé dans les archives familiales ce qui semble être (en particulier en raison des ratures) le brouillon d'une lettre adressée, début 1916, par Maurice Juncker à [url=maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article116484]Pierre Laval[/url].

Note : Il faut se rappeler qu'à l'époque Pierre Laval est membre de la SFIO, qu'aux élections générales de 1914, il avait été élu député de la 2ème circonscription de Saint-Denis , qu'il était avocat et qu'il avait eu l'occasion de plaider à plusieurs reprises avec Maurice Jucnker
Maitron a écrit:
(En 1912, il défendit, avec Pierre Laval, autre avocat socialiste implanté dans le Puy-de-Dôme, les militants du conseil syndical des instituteurs devant le tribunal d’Angers.)

A Pierre Laval

Mon cher ami, excuse le long retard à te répondre. Le temps ou la liberté d’esprit m’ont manqué. J’ai me bonheur d’avoir quelque jours  de tranquille loisir. J’en veux profiter. De la pluie ou du beau temps, des héroïques exploits de nos poilus. Tu en sais autant que moi, bien plus même puisque tu lis – je le suppose du moins – avec régularité nos instructifs journaux. T’entretiendrais-je de ma santé. Il te suffira de savoir qu’elle est satisfaisante. Les détails sont satisfaisants à la grande humanité. Mais nous parlerons encore, si tu le veux bien, des rapports du socialisme et de la guerre. Goldshild m’excusera mais en dépit de toutes les décisions prises, il me paraît que nous n’avons rien de mieux à faire que de préciser nos idées sur le grand drame qui depuis 18 mois * absorbe toute la vie des principales nations européennes . Rien de nouveau qui puisse modifier notre position, allons donc ! Il n’y aurait que la nouveauté du phénomène, cette circonstance serait suffisant pour justifier une étude quotidienne. La guerre n’est pas un chose nouvelle, mais jamais on ne vit guerre engageant de semblables effectifs, mettant en mouvement tant de moyens et de ressources. Nous sommes en plein inconnu et personne ne saurait se flatter sans présomption de posséder des données assez précises pour se faire une opinion raisonnable et définitive. Chaque jour qui passe modifie le problème. Il me paraît d’ailleurs que la majorité du parti avec laquelle je n’ai guère été d’accord depuis avant 1914, s’engage dans des voies nouvelles. Je n’ai pas été sans me réjouir des résultats du congrès de la Seine et du congrès national. Je n’ose dire que je suis d’accord avec Bourderon car j’ignore les motions qu’il a présenté mais la tendance préside mon ami Longuet ** pour ne pas me donner satisfaction me paraît indiquer une direction nouvelle et avoir quelque force. Elle a grandement influencé le manifeste du congrès national. Je te dirai dans un instant tout le bien que j’en pense, je peux bien en dire de suite un peu de mal. Chacun de nous, en cette heure, à le devoir de porter « le jugement inflexible que l’on doit à la vérité ». Je remplis ce devoir, mon cher Gall ***, si je me trompe sois assuré que c’est en toute bonne foi ; si je suis dur, crois moi, c’est sans intention malveillante. Je n’ai d’autre désir que de servir mon parti et avec lui l’humanité. Que signifient les derniers paragraphes du manifeste : « Le Congrès rappelle au groupe socialiste parlementaire que l’unité d’action comporte » etc. Ils ont, je ne te le cache pas produit sur moi l’impression la plus pénible. Ils me semblent sonner comme une menace malgré leur forme modérée. Et quoi dans cette période troublée, incertaine, déconcertante, n’aurions nous plus le droit d’étudier,  de penser, de  parler et d’écrire librement sans autre restriction que notre mutuel respect et l’observation des principes fondamentaux du socialisme. Cette liberté est pourtant écrite en toutes lettres dans le règlement de la section française. Si le sens des paragraphes que j’incrimine est celui du règlement, pourquoi ce rappel ? Je ne puis m’empêcher de les rapprocher du fait que le Journal Officiel n’a pas même, sauf erreur de ma part, la forme ni le sens des motions de la minorité, qu’aucun contenu instructif des séances  n’a été donné. Que fait-on de la conscience et de la liberté de la  minorité ? Pourquoi lui refuser de se faire entendre des socialistes du front. Invinciblement je suis conduit à comparer cette façon d’agir à celle de la majorité de la social-démocratie. C’est au nom de l’unité du Parti, de l’unité de son action, de l’unité de vote au parlement que Heine et quelques autres imposent le silence à Karl Liebknecht et au vingt opposants. Il n’est pas dans mon esprit de pousser le parallèle et de suspecter notre majorité. Je veux simplement signaler le danger qu’il y a à méconnaître sous prétexte de prudence les libertés des minorités. C’est ainsi qu’on passionne les discussions, qu’on accentue les dissentiments. Et quel illogisme ! Tous les socialistes sont d’accord pour condamner la diplomatie secrète. Nous pensons que les affaires des États doivent se traiter, loyalement, au grand jour et nous nous enfermons dans des salles impénétrables pour discuter les nôtres, nous faisons effort pour que rien ne transpire. C’est une misère. Nous ignorons l’histoire de la paille et de la poutre.

Oui, nous l’ignorons. Avec raison et force, le manifeste s’élève contre la violation de la neutralité Belge. Il aurait pu ajouter à la honte du gouvernement allemand la violation de la neutralité Luxembourgeoise. Aucune flétrissure ne me paraîtra trop forte pour ces attentats. Mais j’ai quelque honte quand je vois mon parti ne pas trouver un mot pour juger notre lamentable politique balkanique ****.Parlons net : Quand nous prenons les îles grecques comme bases navales, quand nous nous installons à Salonique, malgré les protestations du gouvernement Hellénique nous portons atteinte à la neutralité d’un peuple. Nous ne violons pas un traité mais nous méprisons le droit international ! Quand nous procédons en territoire grec à des arrestations nous en usons (?) par cette mesure de police envers un peuple libre comme l’Autriche à l’origine de la guerre a voulu en user envers la Serbie. Aurons nous le front de justifier ces actes par la nécessité. Alors nous sommes les cousins germains – si j’ose ainsi dire – de Bethlann-Holweg ! C’était pour les succès allemands une nécessité que l’invasion de la Belgique.

Ah, nous pouvons parler du principe des nationalités quand l’Angleterre offre Malte à la Grèce pour marcher contre les empires centraux et retire l’offre alors que la Grèce veut rester neutre ; quand nous proposons à la Bulgarie des territoires que nous lui contestons dès qu’elle manifeste des sympathies allemandes, quand nous découvrons que Constantinople doit être une ville russe. Oui la section française de l’Internationale est restée muette devant ce maquignonnage infâme. A peine a-t-elle élevé dans « L’Humanité » une protestation contre les visées russes sur la reine du Bosphore. La mollesse des socialistes français à combattre cette prétention les rend partiellement responsable de notre échec en (L )Orient. Leur silence sur les hontes balkaniques les rendra partiellement responsables de la prolongation de la guerre.

Il n’en reste pas moins que le manifeste du congrès national ***** contient des affirmations nécessaires et heureuses pour  l’avenir. Il peut être une base pour une reconstruction de l’Internationale, pour son action pacificatrice. Je l’approuve sans restriction lorsqu’il dit le socialisme français n’est pas un parti des vaincus qui implorent. Il continuera la lutte sans défaillance pour atteindre (leur) son but. S’il déteste la guerre en 1916 comme en 1914 il aura assez d’énergie pour la subir jusqu’au bout. Mais il est prêt à discuter des propositions de paix sérieuses. Pour être sérieuses, les propositions doivent être faites dans les termes du pactes de Londres. Il n’y a pas de droit international possible sans le respect des traités. Le manifeste fait mieux, il s’efforce de déterminer les bases essentielles d’un traité de paix possible à savoir rétablissement dans leur indépendance des petites nations, Belgique et Serbie. Libération des territoires français occupés et consultation des populations opprimées pour l’établissement de leurs statuts, organisation du droit international par l’arbitrage international, la limitation des armements, le contrôle démocratique des engagements pris, par l’abolition des diplomaties secrètes, par la nationalisation des industries de guerre, par l’organisation des sanctions économiques et militaires à l’égard des  nations violatrices. En revanche, il ne veut ni destruction politique ni destruction économique de l’Allemagne. Il fait appel aux peuples neutres ou ennemies pour la réalisation de ce programme.

Certaines de ces propositions avaient déjà été formulées. D’autres sont neuves, au moins dans leur forme. Ce sont ces dernières qui surtout m’intéressent. En premier lieu, je place la garantie de l’intégrité politique et économique du peuple allemand. Jamais il n’était entré dans la tête d’un socialiste d’y toucher mais n’avons nous  pas conclu avec Maurice Barrès, l’Union Sacrée. Celui-ci , n’avait-il pas affiché à différentes reprises des prétentions sur la rive gauche du Rhin (renvoi typographique vers en texte en bas de page SadAlsace - Lorraine[/i]). Il était facile aux belliqueux d’outre-Rhin d’établir des confusions. Nous prêtions d’ailleurs le flanc avec notre formule « l’écrasement du militarisme allemand ». Comment fallait-il l’entendre ? Maintes fois, j’ai posé la question sans obtenir de réponses. Certains, non pas des nôtres, concevaient cet écrasement par la dissociation des éléments constitutifs de l’Allemagne et conséquemment de son armée. Cette solution devait avoir pour conséquence de jeter l’Allemagne « aux suprêmes colères du désespoir ». Cette nation ne pouvait ainsi renoncer à une unité péniblement acquise mais qui a assuré sa grandeur. Elle ne pourrait (pouvait) admettre que l’extérieur lui imposât, sous couleur de la libérer, une constitution. C’est aux peuples eux-mêmes à régler leurs comptes avec leur gouvernement suivant le principe de non-intervention admis en droit international. Je ne désespère pas de l’Allemagne en dépit de l’attitude présente de la majorité sociale-démocrate. La dernière fois que j’entendis Jean Jaurès ce fut au Congrès national de 1914. Quand la guerre est venue, disait-il, elle entraîne tout dans son souffle de tempête, mais au ras du sol, sous l’ouragan, il y a la ronde des impondérables, dans l’atmosphère calmé ils entoureront de leur tourbillon les gouvernements criminels et les prendront à la guerre. Guillaume aura répandu trop de sang, ruiné trop de gens, répandu trop de mensonges sans résultats. Il aura perdu son prestige et le trône des Hohenzollern sera bien chancelant, j’en caresse l’espoir. Les plus ardents à l’accabler malheureux seront ceux qui auront eu le plus confiance en lui. Rien n’est implacable comme un espoir déçu. Nous aurons assez fait, j’en ai la conviction, lorsque nous aurons réduit « le militarisme prussien à accepter les procédures du droit » lorsque nous l’aurons « obligé à se détruire lui-même, en reniant sa raison d’être. Si tu veux bien te reporter à mes lettres précédentes tu verras que j’y défendais cette idée. J’y reviendrai du reste quand j’examinerai ce que doit être dans la pratique notre action socialiste.

Le moindre retour vers la raison socialiste doit nécessairement éclairer la conscience. Ainsi en est-il.  Le manifeste fait d’autres concessions dont les conséquences peuvent être considérables. Tu te souviens comme je déplorais que notre main  ne se tendit pas vers l’opposition socialiste allemande.  Liebnecht, Bernstein, Haase, Rosa Luxemburg, Clara Zetkin, parfait, mais à un congrès, ce ne sont pas ceux-ci que désignerait comme délégués la majorité impérialisée. En vain, je répliquais  (qu’il) ne s’agissait pas d’un action aussi simpliste, aussi puérile. Je désirais que la propagande difficile, héroïque de nos camarades d’outre-Rhin ne fut pas rendue, de notre fait, par des déclarations inconsidérées provocatrices et souvent ridicules. Je désirais qu’on cherche à créer tant en Allemagne, qu’en France et chez les neutres, ce que Jaurès appelait une atmosphère de paix – la paix du droit, la paix socialiste.

La section française (de l’IS) penserait il elle que l’impossible d’hier est devenu le possible d’aujourd’hui. N’est-ce pas ce que signifient ces mots : « Il faut aux alliés non seulement la victoire par les armes, mais le concours des peuples . Le premier est celui du peuple allemand lui-même, enfin tiré de l’abominable ivresse où ses gouvernants l’ont plongé etc ». Comment exposerions nous notre conception socialiste au peuple allemand sinon par les neutres et par la minorité social-démocrate. Il faut nous y résoudre ou bien le Congrès n’aura aligné des mots. Il faut faire un acte de courage et ne pas  nous soucier des criailleries de nos bourgeois  impérialistes. Les réserves que  le Congrès à faites sur la reprise des relations internationales n’ont pas suffi à les calmer. Ils sentent en elles  non pas un danger pour le succès des armes françaises mais un danger permanent pour leur exploitation du prolétariat. Vos réserves sont vaines à leurs yeux, leurs journaux nous l’ont bien prouvé. Que valent d’ailleurs ces réserves. C’est, dit notre Congrès, seulement lorsque des actes décisifs auront été accomplis par la Social-Démocratie ou par la  minorité opposante, que la reprise des relations pourra être envisagée. En quoi une opposition qu’a conduit ses auteurs devant les Conseils de Guerre et dans les prisons allemandes, qui a déterminé vingt députés au Reichtag a voter contre les crédits de la guerre et à 21 à s’abstenir, qui a obtenu de certaines organisations le désaveu de l’attitude de leur représentant au parlement n’a pas accompli des actes décisifs. Qu’attendez vous de plus ? Une scission ? Dites le nettement et Rülhe vous y aidera peut-être. Je le regretterais. Notre internationale est constituée par des hommes et non pas par des saints. Nous avons nos erreurs et nos passions. Combien avons nous rencontrés de questions d’un intérêt immédiat qui ont failli nous diviser. Avec le recul du temps, nous avons souris et nous nous sommes félicités d’être restés dans la communion. Pourquoi ce qui est vrai en France, serait-il inexact en Allemagne. Que penseraient de moi mes camarades des luttes passées si je leur tenais présentement ce langage. Sur les rapports du socialisme et de la présente guerre, je suis avec la majorité du parti en complet désaccord. Elle me paraît par son attitude favoriser les visées tsaristes aux balkans, je veux oublier les liens anciens,  je veux ne pas penser à l’oeuvre que nous aurons à accomplir dans l’avenir. Je me retire. Vous invoqueriez pour me retenir toutes les raisons qui ont motivé l’unité socialiste. Rappelons nous avant de réclamer la dislocation de la social-démocratie le discours de Vanderwelde dans la circonscription de Longuet. Il reconnaissait qu’avec nous la social-démocratie avait lutté contre la guerre jusqu’au 4 août. Espérons que demain, elle luttera avec nous pour la paix du monde. C’est par la persuasion, non par la violence que nous l’entraînerons dans ce que nous croyons être les voies socialistes. Alors, contre l’impérialisme, nous n’aurons pas l’appui d’un million de camarades, mais de deux, trois, quatre. Cela vaut la peine d’être considéré.

Si un sentiment de respect mondain fait hésiter quelques uns de nos camarades à entrer en collaboration avec des socialistes allemands quelle inexplicable pudeur peut leur défendre de se tourner vers les neutres. Craindraient-ils des critiques ?  Je ne peux pas croire que mon parti ait peur de la vérité. C’est par la libre discussion de nos idées et de nos actes ; c’est par le contrôle accepté que nous contrôlerons la pureté de nos intentions et que nous gagnerons de précieuses sympathies. Le manifeste du Congrès montre une confuse perception de cette idée. Par là, il peut donner, en quelque mesure je crois, satisfaction aux tendances de la minorité mais il importe que la majorité observe « loyalement » la résolution votée par le Congrès. Elle doit en conséquence faire une ardente propagande par la plume et la parole. S’y essaie-telle ? Il ne m’a pas semblé que L’Humanité ait jusqu’à ce jour largement commenté les décisions prises. Il n’est pas à ma connaissance que nos militants aient recherchés des collaborations dans la presse étrangère, que notre commission administrative permanente ait saisi les sections étrangères,  que nos parlementaires aient cherché à traduire les décisions du Congrès en actes politiques et gouvernementaux.

J’ai pourtant trouvé une indication dans la signature d’Edgard Milhaud dans L’Humanité du 19 courant. Il prévoit pour l’après-guerre des sanctions économiques et militaires contre les peuples qui tenteraient de se soustraire à l’arbitrage. Parfait, mais en politique comme dans les autres branches d’activité, je pense qu’il ne faut pas remettre au lendemain. Qu’attendons nous pour passer dès maintenant, en attendant mieux, un traité ouvert en ce sens.

La France, à l’instigation du Parti Socialiste, manifesterait son attachement à la paix et au droit, elle ferait tomber bien des préventions dans les pays neutres. Elle ouvrirait peut-être dans un avenir des horizons pour la paix par le droit.

Quel devrait être le sens de ce traité qu’il me plairait de voir proposer par notre gouvernement. Les nations signataires s’engageraient à soumettre à l’arbitrage de La Haye tous leurs conflits présents ou futurs, même ceux portant atteinte à l’honneur et aux intérêts vitaux et à offrir même aux nations non-adhérentes.

En retour les signataires devraient leur entier concours économique et militaire contre les nations qui n’adhéreraient pas aux propositions d’arbitrage.

Si le traité ouvert ne contenait que ces clauses, il ne pourrait être, je crois, utilement défendu chez les neutres par nos camarades socialistes. Les conséquences seraient l’entrée immédiate et impossible dans le conflit actuel. Mais il pourrait prévoir une catégorie de signataires ne s’engageant qu’aux sanctions économiques.

Je n’ai pas la naïveté de croire que les États-Unis, la Suède, la Norvège, le Danemark, la Hollande, l’Espagne ****** d’y adhérer et de nous apporter ainsi leur concours pour la mise à (quia – illisible) des empires centraux.
Mais je caresse l’espoir que cet acte permettrait aux militants socialistes des pays neutres une décente propagande de principe, qu’elle préparerait la médiation de non pas de telle ou telle puissance mais d’un tribunal-conférence à La Haye. La minorité de la sociale-démocratie allemande me paraît mûre pour cette action. La France, j’entends la masse des citoyens, y adhérerait assez facilement.    

En vérité, tant dans la population civile que sur le front, personne ne croit plus aux décisives victoires militaires. Si beaucoup se bercent encore de l’illusion d’un effondrement économique de l’Allemagne,  la plupart sont arrivé à penser que cette lutte serait presque aussi préjudiciable au vainqueur qu’au vaincu. Ce sont les idées que le Parti Socialiste a toujours défendues. Il ne se contredisait pas. Il reprenait ses traditions.

Un de nos camarades connus, actuellement sur le front, appartenant avec de légères nuances à la majorité me disait sans doute l’heure viendra où le socialisme devra se dresser pour demander la paix. Je pense que cette heure est venue. S’il ne sait pas agir, en toute liberté, quand les possibilités de contraintes par la force des armes est encore possible, qu’il prenne garde. Il devra, je le crains, accepter une paix bâclée quand pour tous les belligérants, l’épuisement complet sera venu. Il n’est pas très loin. Dans l’intérêt du socialisme, je vous en supplie, ne vous montrez pas impuissant et ne décevez pas le reste d’espoir qui persiste dans le tréfonds de la conscience des combattants et des civils, de ceux qui avant la guerre nous furent favorables et de ceux qui regrettent de nous avoir été hostiles. Il en existe, je le sais, même chez les radicaux jaunâtres du 19ème arrondissement.

Amicalement à tous

Maurice Juncker

PS : Je ne puis plus me procurer L’Humanité que très difficilement et très rarement *******. Pourrais-tu me la faire parvenir.

Le courrier était accompagné de trois coupures de presse tirées du L’Humanité mais sans date :

DISSIDENTS SOCIALISTES signé Paul Faure
HOMMAGE A ROMAIN ROLLAND signé Séverine
GUERRE OU PAIX : LE POINT DE VUE DE LENINE signé Souvarine



  • * 18 mois après le début de la Guerre - permet de dater la lettre du début de l'année 1916
  • ** Jean Longuet : fils de Jenny Marx et de Charles Longuet, petit-fils de Karl Marx
  • *** mon cher Gall : la lettre est manuscrite et pas toujours très lisible. Mais le texte parle bien de "Gall" - un surnom pour Pierre Laval ?
  • **** Il est utile de rappeler ici qu'avant de faire son droit, Maurice Juncker avait fait "Les Langues O", aujourd'hui l'INALCO. De ses origines familiales, il possédait les langues de l'Europe de l'Est. Aux "Langues O", il s'était formé aux langues balkaniques. Dès avant la guerre de14-18, il s'était intéressé à la question de la déliquescence de l'Empire Austro-hongrois. Question qui continuera à l'intéresser pendant et après la guerre.
  • *****Congrès national de la SFIO qui s'est tenu en décembre 1915
  • ****** Les Neutres
  • ******* A cette époque, Maurice Juncker est mobilisé sur le Front du Nord (Nieuport en Belgique)


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