Bonjour,
Certains d'entre vous on peut-être déjà vu cet article sur un forum voisin, mais je me permets de le reposter ici, ce sujet n'étant que rarement évoqué dans la documentation francophone...
Durant l'entre-deux guerres et jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale, l'Empire du Japon a produit trois modèles de fusils de précision : le Type 38 (à titre expérimental), le Type 97 et le Type 99. Dans cet article, j'évoquerai la lunette règlementaire équipant le Type 97.
Introduction :C'est durant l'année 1920 que furent lancés au Japon les premiers travaux visant à développer une lunette pour fusil de précision, le premier prototype de cette lunette fut prêt en fin d'année 1923.
N'ayant pas donné satisfaction, et ce programme n'étant pas jugé prioritaire, le projet évolua lentement. Ainsi, ce n'est que durant les années 1930 que fut produite à l'essai une courte série de fusils Type 38 (la quantité exacte est inconnue, mais est estimée à moins de 500 exemplaires) en vue d'être équipés de la lunette Type 5 (grossissement 4x6°). Notons que ces lunettes, produites par
Nihon Kogaku Kogyo K.K., sont ajustables en élévation.
A l'usage, cette lunette ne s'avera pas satisfaisante. Alors dès 1936, le Japon testa de nouveaux prototypes de lunettes, désormais à grossissement 2,5x.
La version finale de la lunette (Type 11), testée en 1937, ainsi que son fusil prirent tous les deux l'appellation Type 97 (1937), bien qu'ils ne furent définitivement adoptés qu'en 1938.
Ce fut le seul modèle de lunette à équiper les fusils Type 97.
Arisaka Type 97 :Le fusil de précision Arisaka Type 97 est un dérivé du Type 38, dont il est extérieurement et mécaniquement très proche.
Les particularités les plus notables du T97 sont, pour ne citer qu'elles :
- La présence d'une embase pour recevoir la lunette (partie femelle).
- Un levier de culasse coudé afin d'en faciliter l'usage lorsque la lunette est montée (un levier droit pourrait tout-de-même convenir, la lunette étant suffisamment déportée sur la gauche).
- L'apparition du monopod, que l'on retrouvera ensuite sur nombre de fusils Type 99 (modèles longs, courts, snipers...).
Sa fabrication fut confiée aux deux principaux arsenaux japonais de l'époque : Kokura et Nagoya (Chigusa) dont on estime les volumes de production respectifs à environ 8.000 et 14.300 unités. Soit un total voisinant 22.300 exemplaires.
Notons qu'il y existe quelques différences entre les exemplaires sortis de chez Kokura et ceux de chez Nagoya, mais ça n'est pas le sujet.
Lunette Type 97 (description) :La lunette Type 97 est positionnée sur le côté gauche du boitier, permettant l'alimentation de l'arme au moyen d'un lame-chargeur ainsi que l'utilisation des instruments de visée métalliques.
Sa forme et sa position la placent très en retrait et donc très proche de l’œil du tireur (ce qui est indispensable pour une utilisation correcte de cette lunette). Cela explique la présence d'un pare-soleil en caoutchouc souple, faisant également office "d'amortisseur" et éviter les chocs directs entre la lunette et l'arcade/l’œil du tireur en cas de recul. Aujourd'hui, ces pare-soleils n'ont que très mal survécu. Les rares exemplaires encore présents sont presque totalement asséchés.
La lunette T97 est reconnaissable par sa forme typique, ainsi que sa peinture noire laquée. Elle possède un grossissement 2,5x et un champ de vision de 10°.
Son montage (partie mâle) fait partie intégrante de la lunette, ce qui lui confère une excellente stabilité et, sur la durée, limite une éventuelle perte de précision. Le montage et le tube étant solidaires, d'un bloc, cette lunette est particulièrement solide. C'est d'ailleurs un de ses points forts, conjugué à son excellente protection en termes d'étanchéité et d’herméticité. Il est évident que de telles exigences sont nécessaires compte tenu du climat rude dans lequel elles ont du évoluer.
Pour permettre un tel niveau de solidité et de durabilité, la lunette n'a pas pu être équipée du moindre dispositif de réglage ou d'ajustement. Ainsi, les lunettes appairées et zérotées sur leur fusil en usine, n'étaient théoriquement pas interchangeables.
Les informations telles que l'élévation sont à prendre en compte directement sur le réticule. En effet, ce dernier comprend, en plus des graduations latérales, une hausse de tir étalonnée jusqu'à 1500 mètres.
Si vous observez minutieusement le réticule, vous remarquerez peut-être que l'axe vertical ne l'est pas vraiment : il présente une déviation vers la droite à mesure que la portée de tir augmente. Cette particularité est également présente sur le réticule de la lunette du FM Type 96. En revanche, on ne la retrouve pas sur les optiques des fusils Type 99 et FM Type 99 (tous deux tirant la balle de 7,7 mm).
Il semblerait que cette déviation permette, à longue distance, de compenser la trajectoire fuyante due à un effet gyroscopique important de la légère balle de 6,5 mm.
Ce détail était passé inaperçu dans le milieu des auteurs et collectionneurs américains de militaria japonais, jusqu'à ce que je n'en fasse part en début d'année 2017.
Lunette Type 97 (marquages) :Gravé sur l'optique, en dessous du numéro de série de la lunette, vous trouverez parfois (mais pas systématiquement) le marquage JES (ou J.E.S.) suivi éventuellement d'un espace, et des hiraganas "ne" (ね) et "ji" (ぢ).
Le sigle JES est l'abréviation de "Japanese Engineering Standard", tandis que les hiraganas
ねぢ désignent la visserie. Cela signifie que les vis utilisées sur ces lunettes ont un filetage métrique.
En dessous de ces marquages, on trouvera également poinçonné le kanji "to" (東), pour "Tokyo" (東京). C'est la marque d’inspection de l'Arsenal de Tokyo (
Tokyo Dai-ichi Rikugun Zohei-sho) qui réceptionnait et inspectait les lunettes de chaque fabricant (pas seulement sa propre production), avant de les transférer aux Arsenaux de Kokura et Nagoya qui produisaient les fusils Type 97, et se chargeaient d'affecter et régler à chacun la lunette qui deviendra la sienne.
Ce marquage étant apposé après finition de la lunette, le processus entraînait inévitablement un éclatement de la peinture sur cette zone. De ce fait, il est rarement lisible, d'autant plus que la zone désormais libre de toute protection est vulnérable et sujette à oxydation.
Les lunettes ayant été affectées à un fusil portaient le numéro de série du-dit fusil gravé sur le flanc gauche de leur montage (côté externe, donc visible lorsque la lunette est installée sur l'arme) :
- Kokura, qui produisait la série zéro (sans katakana de série), gravait le numéro en caractères de 3 mm de hauteur, juste au dessus du levier de verrouillage.
- Nagoya, fabricant la série 1 (avec katakana "i" (イ) en préfixe du numéro de série), gravait le katakana
イ ainsi que le numéro de série en caractères d'environ 5 mm de hauteur, juste au dessus du cran de position "verrouillée" du levier.
Ce cran est marqué par le kanji
装, abréviation de
装着 (souchaku) signifiant "équipé, installé". On trouvera à l'opposée la position "ouverte" de la lunette, marquée par le kanji
脱, abréviation de
脱着 (dacchaku) signifiant "enlevé, retiré".
Lunette Type 97 (production) :La lunette Type 97 a été produite par huit fabricants : sept dans le civil (entreprises privées), ainsi que par l'Arsenal
Tokyo Dai-ichi Rikugun Zohei-sho qui faisait également office de superviseur de la production globale. Vous trouverez ci-dessous la liste des fabricants, ainsi que les logos qui leur sont associés et gravés sur l'optique :
1.
Tokyo Dai-ichi Rikugun Zohei-sho - Tokyo 1st Army Arsenal
2.
Tokyo Kogaku Kikai K.K. - Tokyo Optical Machinery Co., Ltd. (connue sous le nom de "Topcon" aujourd'hui)
3.
Nihon Kogaku Kogyo K.K. - Nippon Optical Industry Co., Ltd. (mondialement connue sous le nom de "Nikon" aujourd'hui)
4.
Takachiho Seisaku-sho K.K. - Takatiho Manufacturing Co., Ltd. (désormais nommée "Olympus")
5.
Enomoto Kogaku Seiki Seisaku-sho K.K. - Enomoto Fine Opticals Manufacturing Co., Ltd. (absorbée par "Fuji" durant la guerre)
6.
Fuji Shashin Koki K.K. - Fuji Photographic Optical Instruments Co., Ltd. (racheta "Enomoto" et lui succéda dans la production, connue aujourd'hui sous le nom de "Fujifilm")
7.
Nihon Typewriter K.K. ; Kogaku-bu - Nippon Typewriter Co., Ltd. ; Optics Division (de nos jours mondialement connue sous le nom de "Canon")
8.
Tomioka Kogaku Kikai Seisaku-sho - Tomioka Optical Machinery Manufacturing Co. (existe désormais sous le nom de "Kyocera")
9.
Tokyo Shibaura Denki K.K. - Tokyo Shibaura Electric Co., Ltd. (le géant "Toshiba", ça vous parle ?)
Notez que le numéro 6, Fuji, n'a prit la succession d'Enomoto que durant la production des lunettes pour fusil Type 99. Il n'a donc pas produit de lunette T97. Mais puisque son logo est présent sur l'image, autant ne pas perturber le lecteur !
La numérotation de ces lunettes s'est faite sur une seule série commune à tous les fabricants, chacun se voyant assigner la production de plusieurs blocs de numéros de série. Chaque bloc représentant généralement quelques centaines de pièces. Il semblerait qu'il y ait eu au total 43 blocs répartis sur l'ensemble des 8 fabricants.
D'après le plus haut numéro de série recensé, on estime la production de la lunette T97 à 32.500 exemplaires, ce qui est bien supérieur au volume de production du fusil. Si le reliquat a pu sporadiquement servir dans le cadre de remplacements ou de réparations, 30% des lunettes n'ont jamais reçu d'affectation.
Boites de transport :La boite de transport de la lunette T97 lui assurait une protection et une isolation efficaces. Elle s'accompagnait d'une sangle, et parfois d'un ceinturon.
On distingue 3 variantes de boites :
- Variation 1, en cuir. Variante précoce, la grande majorité des exemplaires connus sont datés 1939, et bien plus rarement 1938 ou 1940.
- Variation 2, en toile enduite rigide. On la rencontre dans près de 80% des cas, ce qui fait d'elle la variante la plus courante. Elle semble avoir été produite de 1940 à début 1943.
- Variation 3, elle-aussi en toile enduite rigide, mais beaucoup moins courante que la précédente. Plus tardive, elle rappelle dans la forme de sa coque la variation 1. Les exemplaires recensés sont datés 1942 ou 1943.
Ces boites comportent en leur intérieur, le long de la coque, un emplacement pour un pinceau destiné au nettoyage de la lunette, ainsi qu'une languette pour protéger la tête de ce pinceau et éviter qu'elle ne soit accrochée/abîmée par la lunette et son pare-soleil, en particulier lorsqu'on souhaite la ranger dans la boite.
Photos :Quelques photos présentant une lunette Type 97 numéro de série 19643, produite par "Nihon Typewriter" et affectée au fusil Type 97
イ6342 de chez Nagoya. Sa boite de transport fait partie de la troisième variante, datée 1943.
L'autre lunette a été repeinte par un précédent propriétaire et ses marquages ne ressortent pas bien en photo. Elle est équipée d'une reproduction fidèle de pare-soleil. C'est une production de l'Arsenal de Tokyo, numéro de série 13667, et est affectée au fusil Type 97
イ8369, également de chez Nagoya. Sa boite de transport, datée 1943, est une variation 2.
Ces lunettes ainsi que leurs boites respectives ont été ramenées d'Indochine.
Vous remarquerez sur les deux prochaines photos, que la bordure de l'anneau de serrage comporte 2 marquages : le nombre 521 (à l'aide de poinçons) ainsi que le nombre 19944 (à main levée). Notons que ce dernier numéro est relativement proche du numéro de série de la lunette (19643), mais cela n'est peut-être qu'une coïncidence.
Vous noterez à l’extrême gauche du montage la présence d'un marquage circulaire. Il a déjà été observé sur d'autres exemplaires mais sa signification n'est pas connue à ce jour.
Vous noterez, en plus du logo du fabricant et du numéro de série, la mention "J.E.S. ねぢ" ainsi que la marque d'inspection de Tokyo, difficilement lisible en raison de l'éclatement de la peinture.
Ci-dessous le numéro de série du fusil auquel était affectée cette lunette, de la série "i" (représentée par le katakana
イ encerclé) produite par l'Arsenal de Nagoya (
Nagoya Rikugun Zohei-sho). À ce jour, ce fusil n'a pas encore été recensé.
Les deux variantes de boites de transports en toile enduite rigide : variation 2 (à gauche) et variation 3 (à droite). Elles sont toutes les deux équipées de leur bretelle et n'ont vraisemblablement jamais été pourvues du ceinturon, la passant adéquat étant vierge de la moindre "agression".
Elles portent toutes les deux les marquages
東 △ 八 十 昭 (pas forcément très lisibles).
Soit, de gauche à droite :
- Kanji "to", marquage d'inspection de Tokyo.
- Triangle, ce marquage n'est pas clairement identifié. On le retrouve régulièrement sur les bretelles de fusil et sangles de transport, systématiquement en toile. Cela peut donc identifier le fournisseur de la toile, ou simplement le fait qu'une matière "de substitution" a été utilisée (pas du cuir).
- Chiffre 8.
- Nombre 10.
- Abréviation de "Showa" (
昭和 en kanjis).
Les 3 derniers symboles doivent être lus de droite à gauche, on obtient ainsi "Showa 18" désignant la 18ème année de l'ère Showa (1943).
Les languettes de protection du pinceau, en toile (variation 2) et en cuir (variation 3) :
Le logement du pinceau. Absent ici. Très peu d'exemplaires ont survécu.
Pour conclure, le fusil Arisaka Type 97 s'est avéré fiable, précis, et également très discrèt et difficilement détectable grâce au très faible "flash" produit lors du tir, en raison de la longueur de son canon couplée à la munition de 6,5x50 mm.
Le Lieutenant-Colonel Américain John B. George, tireur d'élite à Guadalcanal, a testé en bord de plage un fusil Type 97 sorti de caisse. Le rapport qu'il en a fait fut très élogieux, l'estimant au moins équivalent aux fusils de précision utilisés par les GIs, tant sur la précision que sur la fiabilité de la lunette. Son seul reproche concerna la longueur de l'arme.