Bonjour à tous,
Aujourd'hui, je vais tenter de faire un petit article au sujet d'un événement que je trouve vraiment intéressant.
« Incident du 20 juillet », à Wuhan en 1967.
Lieu:Wuhan (武汉), capitale de la province du Hubei (湖北省), est une importante ville de Chine centrale. Avec plus de 8,9 millions de personnes, elle est actuellement la septième ville la plus peuplée du pays.
Aujourd’hui mise en lumière pour avoir été le berceau du covid-19, on en oublie son histoire si particulière et intéressante ainsi que le fait qu’elle soit une importante place pour le commerce et l’économie.
Elle résulte de la fusion de 3 villes en 1927 : Wuchang (武昌), Hankou (汉口) et Hanyang (汉阳).
Ancien comptoir colonial, notamment avec la concession française. Elle a été le berceau de la Révolution de 1911 ou « Révolution Xinhai », commencé par le soulèvement de la caserne de Wuchang, qui mettra fin à l’Empire Qing pour donner naissance à la République de Chine.
Durant l’expédition du Nord, Wuhan subira un long et rude siège pour en déloger les troupes de Wu Peifu. Elle sera ensuite minée par les manifestations et révoltes paysannes anti-Guomintang fomentées par des éléments communistes.
Devenue capitale du gouvernement de Chiang Kai-Shek après la chute de Nankin, elle sera le théâtre d’un âpre combat contre les forces japonaises qui essuieront de très fortes pertes. Ce sera la plus longue et importante bataille de la première phase du conflit sino-japonais. Ces derniers accusant leurs plus grosses pertes de cette campagne se verront obligés de pousser leur offensive plus au Nord. Les japonais n’occuperont que la partie orientale du Hubei.
En juin 1954, la ville subira d’énormes inondations. Le débordement du Yangtsé sera la conséquence d’une saison des pluies plus longue qu’à l’accoutumée et conduira à la mort de près de 33 000 personnes (en comptant les décès dus à l’épidémie de peste suivant les inondations). Cet événement poussera les autorités à la construction de barrages.
Lors du plan quinquennal de 1953 à 1957, Wuhan fait partie des villes choisies pour avoir un rôle clé dans l’industrie lourde, notamment grâce à ses industries sidérurgiques. Durant ce plan de relance économique, la ville reçois l’équivalent de 28% du budget donné pour le premier plan quinquennal ce qui la fait devenir un lieu majeur de l’industrie lourde et de la recherche en RPC. C’est à ce moment que sera construit le fameux grand pont du fleuve Yangtse Wuhan.
Lors du deuxième plan, Wuhan ne perçois pas autant de fonds ce qui oblige la municipalité à contrecarrer beaucoup de ses projets et, à partir de 1965, l’accent est mis sur les petites villes situées dans des lieux plus ou moins reculés. Ceci entraîne un appauvrissent des industries et, le nouvel adage de la Révolution Culturelle « d’abord la production, ensuite le niveau de vie » ne fera rien pour arranger cela.
Avec l’accroissement des risques nucléaires et des tensions sino-soviétique, un QG secret, composé de tunnels souterrains, du commandement des forces de l’APL est construit à environ 15 km de Wuhan. Ce projet porte le nom de « projet 131 ».
Dans les années 80, la ville profite pleinement de la réforme économique chinoise et en profite pour s’ouvrir au monde, n’ayant de comptes à rendre qu’au pouvoir central.
Lors du Mouvement du 4 juin 1989 à Pékin, Wuhan prouvera une nouvelle fois sa vocation contestataire en étant la ville posant le plus de problèmes (avec Shanghai) aux autorités en les obligeant à utiliser les gaz lacrymogènes pour contrôler les mouvements de foules. Après la répression dans la capitale, elle deviendra également l’une des 8 grandes villes à tomber dans un état insurrectionnel.
Contexte historique, la Révolution Culturelle: Après l’échec du Grand Bond en Avant de 1958 à 1960 qui provoquera la grande famine et la mort de 15 à 55 millions de personnes, Mao est écarté du pouvoir et Liu Shaoqi lui succède.
Liu et Mao
A partir de 1960, Liu lance un nouveau programme qui réussit à redresser le pays et Mao est alors vivement critiqué. Ce dernier étant tout de même resté chef du PCC, il décide d’enclencher un Mouvement d’Education Socialiste qui ne reçoit aucun soutien de la part des importants du régime.
C’est alors que Liu est publiquement accusé de capitalisme, rétrogradé (1966), obligé de rédiger son autocritique, expulsé du Parti (1967) pour finalement être battu par les Gardes Rouges et emprisonné à la prison de Kaifeng ou il mourra le 12 novembre 1969.
Le 8 aout 1966, est lancé un projet de loi sur la « Grande Révolution Culturelle Prolétarienne» qui vise à détruire les « 4 vieilleries » qui ne sont autre que les vieilles idées, la vieille culture, les vielles coutumes et les vieilles habitudes.
S’en suit donc un nombre incalculable d’arrestations, de tortures, humiliations, meurtres, expropriations, destruction de monuments et objets culturels…. Toutes ses exactions sont commises par les différentes factions de Gardes Rouges qui ne sont autre, dans leur grande majorité, que des écoliers ou étudiants à qui Mao a donné tous les pouvoirs et toute impunité.
L’incident de WuhanA elle seule, la ville de Wuhan compte environs 54 groupes de Gardes Rouges et rebelles révolutionnaires s’opposants les uns les autres pour se voir reconnaître comme le meilleur représentant des pensées Maoïstes.
Le général Chen Zaidao, commandant de la région militaire de Wuhan, était membre et dirigeant de l’organisation « du million de héros » comportant environ 500 000 militants, des vétérans de l’APL, employés du parti, ouvriers qualifiés et paysans.
Evidemment cette organisation était soutenue par l’Armée locale, notamment pour combattre le « Quartier général des travailleurs de Wuhan », composé de groupuscules des Gardes Rouges, travailleurs et étudiants. Ce qui était formellement interdit par le premier ministre Zhou Enlai et qui marque, pour la première fois, une désobéissance de l’armée aux ordres donnés.
Déjà, en janvier 1967, le quartier général des travailleurs à tenté de s’emparer du pouvoir de la ville en assiégeant le siège du parti et du gouvernement local, ce qui a échoué grâce à l’intervention de citoyens ordinaires.
Ceci explique que la ville de Wuhan devienne un centre de résistance à la Révolution Culturelle et soit le théâtre de nombreux affrontements entre mars et juin 1967. Les seuls événements des deux dernières semaines de juin provoquent la mort de 200 à 350 personnes.
En mars 1967, les unités militaires sous les ordres de Chen démantèlent le quartier général des travailleurs et arrêtent près de 500 militants. Le gouvernement a alors tenté d’obtenir une autocritique et une démission de la part du général commandant les forces armées qui, contre toute attente, refuse et insiste sur le bien-fondé de l’intervention de l’APL pour rétablir l’ordre.
A partir de ce moment, les tensions montent. Le gouvernement ayant désavoué les choix de Chen (considérés comme contre-révolutionnaire) et demandé à ce dernier de démanteler le million de héros. Pour cela, ils taxent le million de héros de « conservateurs » et prétendent que le quartier général des travailleurs est la vraie organisation révolutionnaire de Wuhan. Ces derniers organisent donc une grève de la faim pour tenter de faire plier le chef local.
Le 16 juillet, après avoir essuyé le refus de Chen à sa demande de cesser l’aide apportée au « million de héros » par l’armée, Mao envoi des émissaires dans la ville. Xie Fuzhi, président du Comité Révolutionnaire de Pékin et son comparse, le propagandiste Wang Li, arrivent en ville et tentent de faire appliquer les directives du grand timonier. Ils se heurtent à un mur et, pire encore, la population se range derrière le million de héros et l’armée mutine.
Les envoyés de Pékin sont alors arrêtés et malmenés.
Les violences deviennent de plus en plus destructrices et croissent sans pouvoir être contrôlées (on estime les victimes du mois de juillet à environ 1000 tués et 10 000 blessés).
Mao et Zhou Enlai sont donc secrètement allés à Wuhan pour tenter de visualiser et de mieux comprendre la rébellion et faire changer les choses. Bien évidemment, sous la bonne protection de l’armée de l’air locale restée fidèle à Lin Biao et donc à la Révolution culturel du grand timonier.
Contrairement à la première intention du gouvernement central qui ne voulait pas risquer l’affrontement entre différentes unités de l’armée, il est finalement décidé d’envoyer des troupes de l’APL pour mater la rébellion.
Pékin organisera donc une opération militaire conduisant à la libération des otages le 22 juillet qui rentrent triomphalement à la capitale. A ce moment, la femme de Mao Jiang Qing exhortera les « jeunes combattants révolutionnaires» présents à ne pas faire preuve de faiblesse et de naïveté comme ont pu le faire leurs camarades de Wuhan et à « prendre les armes pour se défendre […] que ce soit des pistolets, fusils, lances ou épées ».
Après cela, le propagandiste montera une campagne d’attaques éditoriales contre les « capitalistes » au sein de l’APL. Dans l’appel du drapeau rouge, le 31 juillet, il appellera à faire tomber et balayer les autorités militaires ayant pris la route du capitalisme. Cette campagne aura pour but de pointer du doigt les rebelles de Wuhan mais également de prévenir tous les détracteurs de la Révolution Culturelle qu’il ne valait mieux pas marcher à contre-courant.
Chen se rend finalement sans combattre, pour être jugé en compagnie de son commissaire politique Zhong Hanhua. Ils sont alors accusés d’avoir soutenu un mauvais groupuscule « contre-révolutionnaire » et accablés par Wu Faxian le commandant de l’armée de l’air. Après avoir été battus par le service de sécurité et sommairement jugé, Chen rédige son autocritique et est licencié (il sera réhabilité en 1972) ce qui mettra fin au refus d’obtempérer de la région militaire de Wuhan.
Conclusion:Le ralliement des troupes au pouvoir central ainsi effectué permettra d’utiliser l’armée pour le rétablissement de l’ordre en Chine passant, notamment, par l’arrestation de nombreux maoïstes radicaux.
Dès 1968, près de 17 millions de jeunes urbains, dont une grosse partie Gardes Rouges, sont déportés à la campagne et les meneurs les plus radicaux sont exécutés.
Mais ce n’est officiellement qu’en 1976, bien longtemps après l’éviction des Gardes Rouges, que la terrible Révolution Culturelle prendra fin.
La population chinoise ayant vécu cette époque en restera très profondément marquée. Encore aujourd’hui, certains parlent très souvent de cette expérience traumatisante, les horreurs commises, les autocritiques, les méfiances vis-à-vis de chacun même à l’intérieur même des familles, les délations et règlements de comptes, les scènes de guerre dans les rues de Wuhan lors des affrontements…
Une autre me parle parfois de ses regrets d’avoir fait partie de ce qu’elle appelle « cette jeunesse stupide et inconsciente qui a cru pouvoir tout changer ».
Malgré ce qui s’en dit, les anciens des villages se rassemblaient toujours le soir après le diner pour s’adonner à des séances d’autocritique. Et cela, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, donc très longtemps après ces périodes troubles.
La mutinerie de l’armée de Wuhan et la population la soutenant nous montre que la population chinoise n’était pas prête à mettre fin à sa culture ancestrale n’y à s’adonner à une destruction aussi ridicule qu’inutile.
Avec son armée et sa population « anti-révolutionnaire», la ville de Wuhan à, une nouvelle fois, prouvé son caractère spécial. Terreau fertile aux révoltes et à ces idées propres, souvent à contre-courant du gouvernement en place.
PS : Plus tard, lors des évènements de la place Tian an men de juin 1989, le général Chen Zaidao fera de nouveau parler de lui en s’opposant à l’application de la loi martiale par l’armée à Pékin. Arguant que l’armée appartient au peuple et ne peut donc ni lui résister, ni le tuer, il milite pour que les troupes n’entrent pas dans la ville. Nous savons aujourd’hui ce qui se passera.
Général Chen (Source Wikipédia)
Nature morte à partir d'objets de Wuhan et du Hubei pouvant représenter cette période:
J’espère que ce petit article vous aura intéressé. A bientôt sur le forum