Masques à Gaz - Cartouches filtrantes Magondeaux

Les tribulations des petites cloches
J’espère que les collectionneurs de Masques à Gaz, plus spécialistes que moi, ne me tiendront pas rigueur des erreurs possibles dans ce sujet.
Je compte sur eux pour compléter cette histoire que certains qualifieront de « point de détail ».

Citation :

Extrait du brevet :

On peut également, en vue de simplifier la fabrication de la capsule et augmenter encore sa surface active constituer cette surface par un cône de tissus ou de feutre (17 sur la figure) replié concentriquement.

Le fait d’utiliser des petites « cloches » de feutre n’était pas la solution retenue par les autres fournisseurs.
Maurice Fernez et consorts utilisaient le papier.
C’est la 12e Direction de l’Armement qui résume la comparaison entre les deux procédés en 1935.
Elle donne un net avantage à la solution des petites cloches de feutre.



Photos et commentaires sont les bienvenus.
Gérard

Bonjour,
Merci de nous emmener dans les coulisses. On ne sait pas forcément tout ce qui se joue dans la sélection de tel ou tel matériel hormis son efficacité...
Ci joint deux documents datés 35 et 36 de la société Dezarnaud qui utilise la cartouche ARM.





Et 2 cartouches ARM.



La suite! La suite!

++
Ben

Bonjour,

Un grand merci à Ben pour son aide., ses documents et ses photos.
Dans ces documents, les entreprises font référence à deux agréments du ministère de la guerre :
- 7 novembre 1934 pour la première
- 30 septembre 1935 pour la seconde.
Je vais regarder les quelques cartouches que je possède encore.
Les filtres en feutres semblent donc supérieurs aux filtres en papier.
Mais encore faut-il que cette supériorité soit reconnue par le Ministère de la défense. Ce sera chose faite en 1935.
Mais avec une telle lenteur que les principales commandes seront pour des modèles A.R.S. modifiés (brevet Fernez) et des nouveaux  modèles (brevet Poelman)


Sur les agréments du Ministère de la guerre
Je suis tout d’abord étonné de voir sur la publicité un agrément donné par lettre le 7 novembre 1934.
Sans doute s’agit-il d’un agrément pour les populations civils.
Mais il semble que les militaires se soient aussi intéressés à ces cartouches filtrantes.
Leur agrément n’était pas encore accordé en 1934.
Pour être agréé, les cartouches filtrantes doivent être essayées par la direction des poudres aux ateliers de Pyrotechnie du Bouchet (Seine & Oise)


Voici, modestement restitué, l’imbroglio de la demande d’agrément pour ARM

Le 8 décembre 1934, L’ingénieur en chef Kovache, directeur de l’Atelier de Pyrotechnie du Bouchet commande à la société ARM un spécimen d’appareil respiratoire complet.
Il s’agissait d’un modèle déjà présenté en vue de son agrément (par un autre service ?). 
Ce modèle était dans un premier temps destiné à la protection de la population civile passive.
Il était déjà fabriqué (et donc vraisemblablement agréé) pour la DP comme le montre les publicités de Protection pour Tous.
S’agissait-il d’une demande en vue d’essayer et d’agréer le modèle pour doter aussi les armées de ce type de masque et surtout de cartouche ?
Au lieu de répondre directement à l’ingénieur Kovache, R. Magondeaux et Jean Bourrel (fournisseur des feutres) préfèrent jouer la carte des relations politiques.
Ils vont rencontrer le 12 décembre 1934 le général Sablet ingénieur Général des Fabrications d’Armements de 1re classe en 1935.
Directeur des Fabrications d’Armement au ministère de la Guerre depuis 1932, jusqu’à son passage en 2e section.
Le commandant Lahondé est présent à cette réunion.
Il est convenu que ARM enverra à la poudrerie du Bouchet des filtres pour essais.
Le 19 décembre 1934, la commande est prête mais l’industriel attend des instructions du Commandant Lahondé.
Le 22 décembre 1934, Magondeaux presse le commandant Lahondé de donner des instructions à la Poudrerie de Bouchet.
ARM fait parvenir, après accord de Lahondé, 5 cartouches, 15 filtres, un système d’essais et un carton d’échantillon de feutre. Le 24 décembre 1934  l’atelier de Pyrotechnie commande à ARM 20 cartouches « monobloc » en vue d’essais.
Nous pouvons constater à ce stade une certaine confusion dans ce dossier, entre les initiatives directes des industriels et les commandes de l’ingénieur Kovache.
Le 7 janvier1935, l’atelier de pyrotechnie procède à une mise au point sur ces commandes.
- Il y a confusion entre leur demande et celle du général Sablet.
- L’atelier n’a reçu aucune instruction du commandant Lahondé.

Le 9 janvier 1935 la situation semble plus claire du moins pour les envois d’échantillons.

Mais R. Magondeaux reste persuadé qu’il y a obstruction de la part d’un des interlocuteurs.
Il va même jusqu’à penser qu’il y a un parti pris pour d’autres fournisseurs de filtre en papier.

J'ignore ce qui s'est passé en 1936 et 1937.
Comme nous le verrons, les appuis politiques et les intérêts régionaux vont jouer favorablement.
ARM a produit des milliers de cartouches avec filtres en feutre.
Je vous propose de retrouver ce fabricant en 1938.
Mais pas avant d'avoir recueilli vos idées, commentaires et documents.

Gérard

Bonjour,
Dans "l'arme chimique et ses blessures" de 1935, ily a une étude sur certaines cartouches (Fernez, Draeger) et le facteur de résistance à l'inspiration. La cartouche ARM n'est malheureusement pas citée, mais si elle a été écartée c'est peut-être en raison d'une trop forte résistance due au feutre? Simple hypothèse.

Bonjour,

akraben a écrit:

Dans "l'arme chimique et ses blessures" de 1935, il y a une étude sur certaines cartouches (Fernez, Draeger) et le facteur de résistance à l'inspiration. La cartouche ARM n'est malheureusement pas citée, mais si elle a été écartée c'est peut-être en raison d'une trop forte résistance due au feutre? Simple hypothèse.

Merci pour cette hypothèse. Il fallait envisager ce problème physiologique.
Je vois qu’il n’y a pas non plus la cartouche Poelman.

L’utilisation d’un masque à gaz à cartouche filtrante a toujours induit, pour l’utilisateur, une augmentation de la résistance inspiratoire.
Un effort et une fatigue accrus auxquels militaires et forces de l’ordre pallient par un entrainement physique adapté.
Il faut augmenter la maîtrise de la respiration, en évitant le stress,  lors du port du MAG.
Lors de l’inspiration, les filtres créent un barrage qui ralenti l’adduction d’air.
Une dépression momentanée se forme dans le masque.
Les matières filtrantes, papiers, amiante ou feutre imprégnés doivent assurer une filtration convenable des gaz toxiques tout en provoquant une moindre résistance à l’inspiration.
Le Brevet ARM du 28/091933 et son additif du 12/12/1933 en augmentant la surface de filtration pour un faible encombrement et en utilisant le feutre à la place du papier vont réduire la dépression engendrée.
La note de synthèse de la poudrerie du Bouchet confirme la supériorité de ce dispositif sur celui des concurrents quant à la résistance mécanique et chimique des produits ARM avec filtre en feutre.
Elle ne mentionne aucune remarque négative qu’entrainerait une pénibilité accrue pour le porteur.
Après avoir franchi les « obstacles » concurrentiels, entre 1938 et 1940 plus de trois millions de cartouches ARM vont être livrées aux services du Ministère de la Guerre et, le 11 mars 1940,  une commande est en cours pour deux millions de cartouches.
L’usine de St-Hilaire-St-Mesmin ne suffit plus et l’on envisage même d’en activer une seconde, loin des zones de bombardements (possibles) : Chez le fabricant des feutres.



Gérard

Bonjour,
Plus de 300 visites pour ce post.
Peu d’interventions. Dommage. Je croyais les collectionneurs de MAG plus nombreux.
Il est temps de vous présenter (brièvement) l’entreprise qui fabrique les petites cloches de feutre.
Il s’agit de l’I.C.A. : Industrie Chapelière de l’Aude.
Issue d’un regroupement en 1932, de deux industriels de la chapellerie : Les établissements  Jean Peille à Espéraza et ceux Jean Bourrel à Espéraza et Quillan. Dans le domaine militaire, cette société est connue par les collectionneurs de casques car elle fabriquera des sous-casque Mle 51 entre 1954 et 1956.
Elle possède une usine à Quillan qui deviendra FORMICA, deux usines à Espéraza, celle de Jean Peille où seront fabriqués les sous-casque à partir de 1954 et une autre usine, anciennement Bourrel frère qui, en 1940,  est désaffectée.
Jean Bourrel est Conseiller Général de l’Aude. Ses relations dans les milieux politiques radicaux vont soutenir R. Magondeaux en vue de l’obtention de commandes militaires.
Pour diverses raisons conjoncturelles, la production de chapeau est en chute libre. Ce marasme inquiète beaucoup le préfet (André Sadon), le député (Bousgarbies) et les sénateurs (Raynaud et Guilhem) de l’Aude (11). Deux célèbres personnages : Albert Sarraut, ministre de l’intérieur en 1938 et de l’éducation nationale en 1940 et son frère le journaliste Maurice Sarraut vont apporter leur soutien dans ce dossier où la concurrence est grande.
Si ARM emporte un marché supplémentaire pour la fourniture de cartouches filtrantes à filtre de feutre, l’usine de St-Hilaire-St-Mesmin ne suffira plus. Jean Bourrel et Robert Magondeaux envisagent de créer une société à Espéraza, dans l’usine désaffectée, qui produira la cartouche filtrante entière.
100 hommes et 280 femmes seraient recrutés pour assurer cette production !




Nous sommes en Mars 1940, en pleine drôle de guerre, à deux mois du 10 mai, début de la fin pour les armées françaises.

2000.000 de cartouches... ça serait un beau marché.

Gérard

Bonjour,

Parmi les 300 visites, de nombreux visiteurs hors forum. Ils ne peuvent pas intervenir.

Cordialement

Bonjour Poddichini,

Toujours fidèle au poste.
Quant aux visiteurs hors forum j'espère au moins avoir satisfait leur curiosité et complété leurs connaissances.

Gérard

Epilogue,

Un peu plus haut a écrit:

2000.000 de cartouches... ça serait un beau marché.

En 1940, l'histoire se termine, comme pour l'armée française, par une déroute.
Malgré les appuis politiques, le chantage à la fermeture et au chômage, rien n'y fit.

L'armée jugea que la proposition arrivait trop tard et qu'il valait mieux conseiller l'I.C.A. d'orienter ses productions vers des "fabrications utiles".
Voilà comment le filtre en feutre de laine, une invention jugée innovante, bien plus efficace que le filtre en papier (et amiante !) fut escamotée.

Les années d'occupation furent des années noires pour l'I.C.A, Espéraza et Quillan.
Rationnement du charbon, pénurie de feutre (il venait de Nouvelle-Zélande), mainmise par les allemands sur les stocks de laine, cessation des exportations de chapeau vers l'Amérique, etc...


Les années 50 offrirent un espoir de reconversion vers...le plastique.
De 1954 à 1956 nouveaux marchés pour la défense. I.C.A. produisit des sous-casque Mle 51. Maigre compensation.



Heureusement qu'une "fabrication utile" mais non militaire occupa l'usine de Quillan et fit la renommée de l'entreprise : le FORMICA.


Nous sommes loin des cartouches filtrantes.

Gérard