mon grand-père, Déporté à Rawa Ruska

Bonjour,

Je viens de voir dans la rubrique ventes un cadre d’un ancien de Rawa Ruska, j’ai donc pensé rédiger un résumé (très très résumé) de l’Histoire de mon grand-père.

Engagé volontaire en 1936 dans un régiment du Train, il sera capturé sur la route d’Abbeville en mai 40 (il me semble en secteur britannique).

Il commence alors son parcours de prisonnier de guerre au stalag IIA de Neubrandenburg. Ayant fait la connaissance d’un camarade prisonnier plus ancien (ayant vécu l’occupation allemande dans le nord de la France en 14-18, il parlait bien allemand), ils organisèrent ensemble leur évasion du 13 mars 1942.

Le « trajet » se passe très bien de Neubrandenburg jusqu'à Berlin puis, ensuite de Berlin jusqu’à Aix-La-Chapelle. A Aix-La-Chapelle, malheureusement un bombardement de la gare fit que le train fut immobilisé en gare pendant plusieurs heures à la frontière belge en pleine nuit. Epuisés après déjà deux ans de captivité, Ils se sont endormis dans le train. Les allemands après un bon moment ont demandé à tous les passagers de descendre sur le quai pour un contrôle. Repérés à cause de la langue française, ils sont contrôlés par la feldgendarmerie. Mon grand-père était déjà réfractaire depuis 40 (étant sous-officier, il refusait le travail au stalag, car il se savait protégé par les conventions de Genève). Les allemands l’avait cependant envoyé en barraque disciplinaire du stalag IIA comme punition; il y a passé la plupart de son temps pendant ses 2 ans au stalag IIA !

Après avoir relevé son identité et ses antécédents d’évadé et réfractaire, il fut déporté a Rawa Ruska le 05 mai, soit dans le premier convoi… Les pauvres gars du premier convoi sont ceux qui en arrivant à Rawa Ruska ont eu la dure tâche de devoir nettoyer les restes des prisonniers de guerre russes assassinés là-bas. Chiffres à vérifier, mais certains avancent le chiffre de 20.000 prisonniers de guerre russes assassinés à Rawa Ruska avant l’arrivée des convois français et belges. Sans ustensiles, ils nettoyaient les taches de sang, les restes humains etc avec des branches d’arbre.

Rawa Ruska a été, sans aucun doute, le lieu qui a le plus marqué mon grand-père. D’ailleurs, on appelle souvent les « internés » de Rawa Ruska : « les témoins de la Shoah ». Régulièrement, pendant les travaux forcés à l’extérieur du camp, ils étaient témoins de massacres de civils juifs de la région de Rawa (massacres souvent perpétrés par les SS ukrainiens). Ils en sont tous revenus traumatisés.

Après 2 mois sur Rawa et toujours réfractaire, il fut transféré sur le Kommando de Tarnopol où il est resté quelques mois.
Finalement, transféré sur Kobierzyn (comme à peu près tous les sous-officiers). Après 1 an et demi en déportation, les allemands ont jugé qu’il avait suffisamment été « puni ». Il fut alors reconduit sur l’Autriche au stalag XVII A (de Kaisersteinbrauch il me semble) donc vers la fin de 1943.

A Noël 1944, il s’évade une seconde fois avec des camarades. Repris quelques jours plus tard en gare de Vienne, il est reconduit sur le stalag XVII B de Krems. Le XVII B est évacué le 07 mai 1945. Les prisonniers sont conduits vers le camp de Mauthausen (libéré aussi quelques jours avant) où ils ont passé quelques nuits en attendant leur rapatriement par avions américains à Chartres. Puis ensuite contrôle et désinfection à Paris. C’est enfin la libération pour lui, 5 ans jour pour jour après sa capture sur le front.

Son grand regret: ne pas avoir pu rejoindre les FFL malgré ses deux évasions.

J’ai essayé de faire au mieux pour raccourcir son Histoire. Il y aurait des pages entières à écrire sur ce que les gars de Rawa ont vécu en déportation. Le régime alimentaire, les brimades quotidiennes, la situation sanitaire etc C’est pour cela que pour terminer, je recommande un excellent bouquin sur Rawa Ruska. Les ayant tous lus, celui qui me parait le mieux résumer le sort de nos internés-résistants est : Le camp de la goutte d’eau de Daniel Bilalian.

A mon grand-père :

Eugène Brière
Chevalier de l’ordre national du mérite
Croix des combattants volontaires de la Résistance
Médaille des internés et déportés pour faits de résistance
Médaille des évadés
Croix de guerre avec palme
Médaille militaire
Médaille commémorative 1939-1945

PS : Le stalag XVII A après vérification était bien situé à Kaisersteinbrauch.

Bonjour,

Sujet déplacé au bon endroit.

Cordialement

Merci Poddichini

Cdt

Quel parcours !
5 ans en enfer, le stress post traumatique a du être considérable, comment se sont passées les années qui ont suivies ?, un accompagnement a t il été mis en place ? qui du retour à la vie ?

Bonjour,

Merci pour l'évocation du parcours de votre grand-père, cela mérite le plus grand respect.

Cordialement

Bonjour Nansouty,

Effectivement, le retour à la vie « civile » a été dur. Aucun accompagnement a été mis en place à ma connaissance. Cependant, j’ai toujours entendu que mon grand-père partageait beaucoup avec d’autres anciens déportés par le biais d’associations (dont l’association à laquelle j’appartiens: Ceux de Rawa Ruska). J’ose imaginer que ces associations représentaient en quelque sorte une forme de thérapie…

En ce qui concerne sa santé physique et mentale, j’ai sous les yeux les copies de ses fiches du Service de Santé des armées de Rennes. Il a été diagnostiqué à son rapatriement:

- Syndrome de Targowla (syndrome des déportés) : Psychasthénie, dysmnésie, anxiété, angoisses

- Asthénie et troubles neurotoniques cardiaques

- Troubles digestifs, dysenterie, troubles hépatovésiculaires, insuffisance hépatique

- Troubles de la mémoire, du sommeil, palpitations

- Anémie

- Edenture

Avec la mention suivante : Origine par preuve, maladies contractées à l’occasion du service et constatées pendant l’internement et le 19 mai 1945.

En 1945 il n’avait que 31 ans…

J’ai personnellement toujours connu mon grand-père doux et souriant mais je pense que tous ces internés/déportés ont vécu toute leur vie avec des traumatismes. Il faut rappeler que ces camps de représailles et leurs kommandos étaient situés dans le triangle de la mort. Par conséquent, ils ont tous été témoins du pire… D’ailleurs le camp de Rawa Ruska ne se situait qu’à 19 km du sinistre camp d’extermination de Belzec…

Merci beaucoup de m’avoir lu.
Pierre

Merci 14poilu18

L'entourage familial et amical est fondamental pour arriver à se reconstituer, si c'est possible. Il a probablement pu en parler au sein de ces associations, ce qui constitue sans doute une thérapie. L'après est rarement évoqué. Merci du partage