Commission de capitaine général des charrois des armées 1793

Bonjour,
voici un document peu courant. Il s'agit de la nomination du citoyen Bouilhet comme capitaine général des charrois de l'armée des Pyrénées en mars 1793.
Le titre de capitaine général indiquait une commission et non une charge militaire, mais c'était un emploi équivalent à celui d'un général.



En continuité de ce qui se faisait sous l'ancien régime, les armées révolutionnaires confiaient les transports militaires à des entreprises civiles qui fournissait les chevaux et mulets nécessaires à la traction avec leurs harnais, le matériel roulant (chariots, voitures, caissons ; sauf les affûts d'artillerie) et les conducteurs.

entête du document avec le timbre des charrois de l'armée de l'An 1er de l'égalité ( après le 10 août 1792 donc)



suite du recto



La commission est signée de Hogguer, administrateur des charrois militaires auprès du Ministre.
Il peut s'agir de Frédéric d'Hogguer, ancien capitaine du régiment suisse de Vigier, licencié en 1792,  d'une famille d'importants banquiers protestants.

le verso du document avec le cachet de la municipalité de Toulouse ou le document a été enregistré après prestation de serment de Bouilhet le 21 mars 1793.





L'armée des Pyrénées avait son commandement à Toulouse, aux ordres de Servan, ex-ministre de la guerre.
Le Comité de salut public, incapable de pourvoir à partir de Paris au ravitaillement de ses armées, avait attribué à chacune d’elles une circonscription chargée de son approvisionnement. Celle des Pyrénées-Orientales comprenait la Haute-Garonne, l’Ariège, l’Aude, le Tarn, l’Hérault, le Gard, l’Ardèche, la Lozère, l’Aveyron, les Pyrénées-Orientales auxquels s’ajoutaient, uniquement pour les vêtements, le Lot et le Cantal. L’éloignement de ces départements du théâtre d’opération nécessitait des transports longs et coûteux.
Le 7 mars 1793, la Convention avait déclaré la guerre au roi d’Espagne sans se soucier de l’état d’impréparation de ses troupes.  Les recrues affluaient à Toulouse pour être équipées et armées avant de rejoindre leurs affectations, mais en mars et avril il y avait pénurie d'armes, de munitions et de charrois.



L'ampleur des besoins en transports pour ravitailler les armées imposa vite de combiner le système de l'entreprise avec celui des réquisitions.  
Malheureusement, assurer la rapidité et l’honnêteté des transports fut la préoccupation constante des représentants du peuple et des généraux.  Bouilhet fut d'ailleurs signalé aux jacobins pour malversations.
Les charretiers étaient des hommes réquisitionnés ou employés directement par les compagnies civiles. Leur réputation était exécrable dans l’armée, par leur propension en cas de danger de filer à l’anglaise, couper les traits et s’enfuir à bride abattue avec les chevaux, laissant dans leur panique canons, caissons et chariots sur place, à la merci de l’ennemi.





Le 25 juillet 1793, la Convention décréta la mise en régie des charrois militaires pour mettre fin aux agissements des entrepreneurs.
En 1795, les transports sont répartis en catégories ; vivres, campements, hôpitaux, artillerie, parcs et le 6 mars 1796 les personnels, toujours civils, des charrois sont soumis à une subordination hiérarchique et les règlements militaires leurs sont appliqués.
Cette situation perdurera jusqu'à la création du train de l'artillerie le 16 thermidor an IX (4 août 1801) et il fallut attendre 1806 pour voir la constitution du train du génie et l'année suivante pour le train des équipages.

Bonjour,

Rare document bien présenté et bien explicité quant à sa finalité. Un grand merci, pour ma part je ne connaissait pas cette fonction.

Merci d'apprécier Gwalchaved;
en complément, les capitaines généraux des charrois sont apparus dès le XVIème siècle pour le service de l'artillerie et des subsistances. C'étaient à l'époque des entrepreneurs perpétuels privilégies qui étaient payés sur l'extraordinaire des guerres. Les privilèges (exemptions d'impôts et de péages) perdureront jusqu'à la Révolution.

Définition dans le dictionnaire de La Chesnaye des Bois -1745

Bonsoir,

Beau document !
Une fois n'est pas coutume, la privatisation d'une mission de l’État entraine abus et course au profit au détriment des Français...

Amicalement.

Oui, hélas !
Lors du passage en régie les animaux et le matériel ont été marqués pour éviter les reventes illicites ou le détournement à des fins privées.

Il faut dire que les années 1793 et 1794 sont particulièrement difficiles à Toulouse. On doit faire face à une difficulté d’approvisionnement de la ville de Toulouse et à la déclaration de guerre à l’Espagne votée le 7 mars sur la proposition de Barère. On alors doit en toute hâte recruter pour l’armée des Pyrénées, le volontariat ne suffisant pas on passera à la réquisition des recrues. Ont doit équiper, habiller, et nourrir ces nouveaux soldats..
Et en parallèle 1793 est une année de réorganisation complète du système des subsistances militaires dont les charrois qui servent à l’organisation du transports du blé, farine, pains, fours mobiles etc. par exemple:
29 Brumaire. — 30 du même mois [septembre 1793] La Convention nationale, oui le rapport de ses comités des finances  et les entrepreneurs et régisseurs des différens services des charrois militaires, supprimés par le décret du 25 juillet dernier ( vieux style)[1793] , qui devaient aux termes dudit décret, compter de clerc-à-maître avant le 1 er octobre suivant , déposeront, dans le délai de quatre décades à partir de ce jour , les pièces de leurs comptes dans les mains des commissaires nommés à cet effet par la trésorerie nationale etc..

Il existe un petit opuscule publié en 1793 traitant du sujet. Charrois militaires. Toulouse, le 9e jour de 3e décade du 1er mois de l'an second de la République. Au nom des Régisseurs généraux. Le Directeur-général des Charrois militaires des armées des Pyrénées aux citoyens employés dans lesdits charrois
Mais je n'en trouve pas de lien enligne.
A lire aussi:

https://ia902606.us.archive.org/25/items/dpartementdela00touluoft/dpartementdela00touluoft_bw.pdf

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6295817r?rk=21459;2

Dire que directeur général des charrois « c'était un emploi équivalent à celui d'un général » me parait excessif. C’est un des nombreux commis du service des vivres en charge du transports du blé, farine, pains,..

Au 18e siècle, le marquage était général à toutes les formes d'organisation d'un service "délégué par l'état" qu'elle soient: une régie, une régie intéressée ou une entreprise.

JL

Bonjour,
dans la mesure où la commission a été approuvée par l'inspecteur général de l'artillerie (v. bas de page à gauche recto), je ne pense pas que Bouilhet travaillait pour les charrois des vivres mais pour celui de l'artillerie. Son rôle à Toulouse était certainement de provisionner le matériel nécessaire aux transports de l'artillerie pour l'armée des Pyrénées (chevaux, caissons à munitions, etc).
Extrait de l'histoire générale de Toulouse par Henri Ramet :



Il est notoire à l'époque que le système de l'entreprise (décret du 13 mars 1792) donnait lieu à des spéculations scandaleuses. Les agents des fournisseurs volaient les chevaux et le matériel et trouvaient le moyen de les revendre à l’État. Les entrepreneurs ne se montraient pas plus scrupuleux et faisaient en grand ce que leurs commis faisaient dans des proportions plus modestes.
A noter qu'après le passage en régie (décret du 25 juillet 1793), le nouveau mode ne put s'exercer que sur le transport des vivres et des ambulances, faute de ressources; l'artillerie continua à être desservie par l'entreprise. Le Ministre fut autorisé à maintenir les entrepreneurs Lanchère, Choiseau, Winter et Boursault. On appelait d'ailleurs par dérision les charretiers de l'artillerie "les hussards de Lanchère".
Les commissaires des guerres furent chargés à partir d'août 1793, de surveiller les services des charrois et d'assurer la réception des animaux et du matériel qu'ils faisaient marquer et enregistrer.
Les animaux réformés étaient marqués d'une entaille longitudinale à l'oreille pour éviter la fraude et les trafics.
Tout agent, régisseur ou entrepreneur était puni de mort s'il était convaincu de concussion ou de vente de matériel ( code des charrois).

Bonjour,

Je ne connais pas bien les révolutions effectuées dans l’organisation de l’armée en pleine période révolutionnaire.

Sous l’Ancien régime, l’artillerie avait sa propre comptabilité totalement indépendante du reste de l’armée. Elle prenait en charge « Les appointements ordinaires et extraordinaires, gages, soldes, gratifications et salaires de tous officiers, commissaires, canonniers, charrons, charpentiers, fondeurs, déchargeurs, conducteurs de charrois, tentiers, tonneliers, manouvriers, pionniers du parc et de batteries, gens de métier et tous autres suppôts ordinaires de l’artillerie. La levée et subsistance de tous les chevaux de timons ou de trait, haut-le-pied, mules, mulets, bœufs et équipages destinés au service et tirage de l’artillerie, dit de réserve, soit que toutes ces dépenses se fassent par marché ou par régie et économie. »

Je ne sais si l’artillerie avait conservée ce privilège d’indépendance de son administration durant ces périodes tourmentées.

On retrouve deux types d’équipages d’artillerie; le premier appelé chevaux de la réserve, qui constitue un fond de chevaux d'attelage qui sont de façon permanente attachés au service du parc l'artillerie. Un second contingent constitue ce que l'on appel alors le train des équipages, ils représentent la majorité des chevaux au service de l'artillerie, en particulier au cours des campagnes militaires. Les chevaux de la réserve tout comme ceux du trains des équipages sont affermés c'est à dite que leur recrutement fonctionne sous le régime des entreprises mais à la différence que le marché des premiers courts sur l'année entière alors que celui des équipages ne dure que le temps des campagnes militaires, soit de début mai à fin octobre. La tendance vers la fin de l’Ancien régime étant de pratiquer le système de régie, en particulier pour tout ce qui relève des besoins de l’armée en période de paix.

Pour la réforme de juillet 1793 page 107 et suivantes:
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6274583v/f164.item

Peu après le recrutement en mars 1793 du citoyen Bouilhet, le 25 juillet 1793 on assiste à une refonte complète de l'organisation des charrois de l'armée (j’ignore quelle en était l’organisation de 1789 à  juillet 1793). Ce n’est pas une régie simple mais une régie intéressée qui est mise en place. Dans la régie intéressée le prix de la ration est fixée. Ici le régisseur (un financier ou le prête nom d'un groupe de financiers) participe à l'avance des fonds avec l'État et il est intéressé aux bénéfices si la dépense est inférieure au prix fixé durant le contrat. L'intéressement maintient donc des coûts bas pour les subsistances de l'armée. Mais la régie intéressée est fragilisée par des coûts imprévus: la perte de magasins pris par l'ennemi, la nécessité d'une évacuation qui entraîne des coûts de transports… Une bonne gestion n'est pas synonyme de bénéfices.

Cordialement,
JL