Oradour-sur-Glane
10 juin 1944; Les Alliés ont débarqué depuis quelques jours en Normandie. La 2.SS.Panzerdivision "Das Reich", commandée par le SS-Brigadeführer Heinz Lammerding, est stationnée dans le sud-ouest de la France et doit, à cette date, combattre la Résistance dans le Limousin qui multiplie ses actions depuis le 6 juin.
En effet, Tulle a été, de manière éphémère, libérée par les FPT le 8 juin, puis repris par les S.S. du bataillon de reconnaissance de la division « Das Reich » le lendemain, entraînant en représailles la pendaison de 99 hommes.
A l’aube du 10 juin, le lieutenant S.S. Karl Gerlach, du 2.SS.Sturmgeschützabteilung, rend compte à l’état-major du régiment Der Führer à Limoges de sa capture par les résistants la veille et qu’il avait réussi à s’échapper. Le 9, la garnison de Guéret est attaquée par la Résistance. Le 3ème bataillon du régiment « Der Führer » du SS-Sturmbannführer Helmut Kämpfe est envoyé à Guéret afin de soutenir les unités locales. Au retour de l’expédition, Kämpfe est enlevé par les maquisards, provoquant un grand émoi parmi les S.S. à Limoges.
Le SS-Stubaf Adolf Diekmann, commandant du 1er bataillon de ce même régiment, apprend le matin du 10 la disparition de Kämpfe.
L’état-major du 1er bataillon du régiment « Der Führer » est installé à l’Hôtel de la Gare, à Saint-Junien. Au cours de la matinée, Diekmann y réunit le lieutenant Joachim Kleist, du SD (Sichereitdienst) de Limoges, ainsi que quatre miliciens.
Le lieu choisi est
Oradour-sur-Glane, situé à environ 15 kilomètres au nord-ouest de Limoges. Avec l’accord de ses supérieurs, officiellement, Diekmann devra prendre en otage entre 30 et 50 otages en échange de la libération de Kämpfe..
Diekmann et la 3ème compagnie du SS-Hauptsturmführer Otto-Erich Kahn partent de Saint-Junien vers 13 heures. Au cours du trajet, le SS-Untersturmführer Heinz Barth déclare à ses hommes : « Aujourd’hui, vous verrez le sang couler ».
Ce 10 juin, à
Oradour, c’est le jour de distribution de viande et de tabac. De nombreuses personnes extérieures à
Oradour sont venues se ravitailler, mais aussi passer le week-end ou pêcher sur les bords de la Glane.
Vers 14 heures, venant du bas du village, deux semi-chenillés et trois camions traversent la rue la rue Emile Desourteaux et s’arrêtent à environ 800 mètres de la sortie ouest, sur la route de Confolens, à hauteur du domaine de Bel Air. Les camions se positionnent à cet endroit et les semi-chenillés font demi-tour, traversent de nouveau la rue principale, franchissent le pont de la Glane et s’installent à la sortie est, sur la route de Limoges.
Cinq autres camions se sont arrêtés sur la route de Saint-Junien, à l’Auze, à environ 1,5 kilomètre de l’entrée du village.
Les trois principaux accès à
Oradour sont désormais bloqués.
On dénombre entre 120 et 150 S.S. : toutes les sections de combats de la 3ème compagnie sont présentes ainsi qu’une partie de l’état-major du 1er bataillon.
Le village est entièrement encerclé. Le dispositif installé, le restant des S.S. se déploie autour d’
Oradour et refoule vers le centre du bourg toutes les personnes qui se trouvent dans les champs et dans les fermes.
Le sous-lieutenant Barth donne pour instruction de tirer sur toute personne en mouvement, et le sergent Staeger ordonne d’abattre sur place toute personne malade ou qui ne peut se rendre sur le champ de foire.
Le tambour municipal, Jean Depierrefiche, reçoit l’ordre d’aviser toute la population à se rassembler immédiatement sur le champ de foire, tous les habitants devant être munis de leurs papiers, pour une vérification d’identité.
Certaines personnes se dissimulent à l’arrivée des S.S., comme Hubert Desourteaux et Paul Doutre ,réfractaires au STO, ou Armand Senon, immobilisé par une fracture de jambe, qui survivront au massacre.
Des coups de feu éclatent dans les alentours de la localité. Ainsi, le SS-Unterscharführer Staeger abat une vieille dame qui n’avançait pas assez vite, blessant, suite au ricochet des balles, le grenadier alsacien Albert Ochs.
Les S.S. fouillent les maisons et chassent les habitants qui s’y trouvent encore dedans. Les camions et blindés ramènent des habitants sur le champ de foire.
Les écoles ne sont pas épargnées par le rassemblement. Les S.S. investissent l’école de garçons, l’école de filles et l’école des Lorrains réfugiés. Dans cette dernière, Roger Godfrin, 7 ans, après avoir avisé ses camarades que les Allemands leur feraient du mal, prend la fuite en passant par les jardins et les champs. Repéré par les S.S., il parvient à traverser la Glane et à s’échapper.
A quinze heures, toute la population est réunie sur le champ de foire, cerné par des soldats et de six mitrailleuses. Les S.S. procèdent à sa séparation en deux groupes : le premier, les hommes, qui sont aussitôt alignés sur trois rangs le long des bâtiments, puis le second, les femmes et les enfants, encadré par une dizaine des S.S. puis amené à l’église.
Diekmann, assisté d’un interprète, ordonne alors au docteur Desourteaux père de désigner cinquante otages. Le maire refuse. Il est conduit à la mairie en compagnie de Diekmann, mais revient seul au bout d’une dizaine de minutes et reprend sa place sans un mot. L’interprète demande à nouveau s’il a choisi des otages. Le maire répond : « Oui, moi-même, et si cela ne suffit pas, les membres de ma famille ».
Diekmann revient de la mairie et annonce par le biais de son interprète qu’il y a des dépôts d’armes et de munitions constitués par les terroristes. Il signale que les maisons vont être perquisitionnées. Il demande si quelqu’un a des informations au sujet de ces dépôts. Personne ne réagit à l’exception de Jean Lamaud, qui affirme posséder une carabine de 6 mm. Il précise que ce calibre est autorisé par la préfecture. L’officier lui répond que cela ne l’intéresse pas.
Sur un signe, les hommes sont séparés en six groupes puis conduits dans leslieux les plus vastes du village: la grange Laudy, la forge Beaulieu, le chai Denis, le garage Desourteaux, le garage Milord et la grange Bouchoule.
Dans la grange Laudy, les hommes enlèvent deux charrettes et sont alignés. Cinq ou six soldats les surveillent et installent une mitrailleuse. Le comportement des S.S. ne présage en rien de ce qui va bientôt se passer : ils sont détendus, rient, l’un d’eux mange un sucre. Les hommes dans la grange attendent seulement qu’on les libère.
A quinze heures trente, le SS-Hstuf Kahn tire une rafale de la rue principale : c’est le signal. Les S.S. se jettent sur les mitrailleuses et ouvrent le feu sur les hommes. Après avoir tiré, les chefs de groupe S.S., tel est le cas du SS-Uscha Georges-René Boos, volontaire alsacien, achèvent au pistolet ceux qui sont encore vivants. De la paille, du foin et des fagots sont mis sur les corps, puis les S.S. s’éloignent.
Dans le hangar Laudy, les S.S. reviennent environ 15 minutes après la tuerie. Il y a encore des survivants, mais les S.S. mettent le feu à la paille et s’éloignent en direction de l’église. Le brasier s’intensifie. Robert Hébras, Jean-Marcel Darthout, Yvon Roby, Mathieu Borie, Clément Broussaudier, et Pierre Poutaraud parviennent à s’échapper de la grange. Ce dernier sera abattu plus tard sur la route du cimetière en tentant de s’enfuir. Les cinq hommes quitteront
Oradour la nuit venue.
Félix Aliotti et le garde champêtre Pierre Duquerroy, vivants après la fusillade, ne pourront échapper à l’incendie à cause de leurs blessures aux jambes.
Vers seize heures, deux sous-officiers S.S. entrent dans l’église portant une lourde caisse d’où sortent de longues mèches blanches. Ils la déposent, mettent le feu aux mèches et s’enfuient. Ils referment la porte à clé derrière eux. Quelques secondent après, la caisse explose : une fumée noire, épaisse, suffocante envahit l’église. C’est la panique, les femmes et enfants hurlent de frayeur et cherchent des refuges où l’air serait encore respirable.
Sous la pression d’un groupe épouvanté, la porte de la sacristie cède. Mais les S.S. qui cernent l’église s'aperçoivent de cela et ouvrent le feu. Ils tirent au hasard, dans la fumée. Une des filles de Marguerite Rouffanche, âgée de 18 ans, restée aux côtés de sa mère, est tuée d’une balle.
Quelques instants après, des S.S., notamment les sous-officiers Boos, Staeger, Toepfer et Tschayge, entrent dans l’église. Une nouvelle fusillade éclate. Ils jettent quelques grenades, puis posent sur les corps de la paille, des bancs, des fagots ainsi que des chaises de l’église, mettent le feu et ressortent en refermant la porte.
Dans l’église, Marguerite Rouffanche voit les flammes grandir et va se réfugier derrière le maître-autel. Elle parvient à atteindre le vitrail central brisé par les balles et se précipite par l’ouverture, faisant un plongeon de plus de 3 mètres. Une autre femme la suit, Henriette Joyeux, née Hyvernaud. Avec son bébé, elle réussit à grimper sur l’ouverture. Elle tend son bébé à Mme Rouffanche. L’enfant tombe sur le sol. Sa maman saute à son tour.
Les deux femmes vont tenter de gagner le jardin du presbytère, tout proche. Mais les cris du bébé alertent les S.S.. Une sentinelle tire. La maman et son bébé sont tués sur le coup. Mme Rouffanche, qui simule la mort, est grièvement blessée aux jambes, mais réussit finalement à se cacher.
De nombreux crimes isolés sont signalés : les S.S., en fouillant les maisons, ont tué ceux qui ne pouvaient se déplacer, comme le père Giroux, paralysé, ou des malades.
Des corps seront retrouvés sous l’escalier d’une cave, dans l’appentis du presbytère, dans l’étouffoir de la boulanger Bouchoule, dans le puits de la ferme Picat, etc.
D’autres personnes, venues dans le village après le rassemblement, ont été assassinées dans la forge Beaulieu, tout comme des mamans venues des hameaux environnants pour prendre des nouvelles des enfants.
Des cadavres ont été ramassés par la suite sur les routes, dans les jardins et champs.
Après avoir fouillés et pillés chaque maison, les S.S. incendient tous les bâtiments du village en mettant le feu aux rideaux des fenêtres et en déposant divers produits combustibles.
Deux tramways en provenance de Limoges sont entrés dans le village au cours de l’après-midi. Le premier est un train d’essai avec trois employés de la Compagnie. L’un d’eux, M. Chalard, est abattu au moment où il traverse le pont de la Glane. Son corps est jeté dans la rivière puis le tramway est refoulé vers Limoges.
Un second tramway arrive à 19 h 30 à l’arrêt de Puygaillard, à l’embranchement de la route de Saint-Victurnien. Les S.S. vérifient les papiers de chaque passager, au nombre d’une vingtaine. Ceux qui ont un billet pour
Oradour descendent. On les amène vers le village des Bordes. Le groupe traverse la Glane puis est arrêté en plein champ. Le gradé commandant le détachement s’entretient avec un autre gradé. Les hommes sont séparés des femmes, on vérifie leur identité. Enfin, après une discussion animée entre les deux sous-officiers, le groupe est finalement libéré. Un des sous-officiers leur dit : « On vous laisse partir ! Vous pouvez dire que vous avez de la chance ! ». Pendant ce temps, on donne l’ordre de reconduire le tramway à Limoges.
Les S.S. quittent
Oradour en flammes en début soirée pour Nieul, en emportant bétail, automobiles, bicyclettes et divers objets (une voiture, appartenant à Maurice Picat, sera retrouvée en Normandie) et se logent dans l’école.
Au court de la nuit, un poste de garde constitué d’une dizaine de S.S. est installé dans la maison de M. Dupic, qui sera incendiée le lendemain matin.
Le 11, puis le 12 juin, des S.S. sont revenus à
Oradour et ont creusé deux fosses pour inhumer des restes humains.
La compagnie quitte Nieul pour la Normandie au cours de la journée du 12 juin et arrive quelques jours après en Normandie. Elle est engagée à partir du 28 juin au sud-ouest de Caen où elle sera décimée en quelques jours.
Le bilan total, définitif et officiel, s’établit à 642 morts, dont 207 enfants, 246 femmes, 189 hommes. 52 corps seulement ont été identifiés.
36 hommes, femmes et enfants ont survécu au massacre car, au moment de l’arrivée des SS, se sont cachés ou échappés.
Enfin, 328 constructions ont été détruites par l’incendie dont : 123 maisons d’habitation, 40 granges, 58 hangars, 35 remises, 22 magasins, 4 écoles et 1 gare.
Les criminels.
Une enveloppe retrouvée sur place a permis d’identifier, grâce au secteur postal indiqué dessus (15 807 D), l’unité responsable du crime, ce secteur correspondant à celui de la 3e compagnie du régiment "Der Führer".
Cette compagnie, commandée par le capitaine SS Otto-Erich Kahn, se composait d’une section de commandement et de trois (ou quatre selon les témoignages) sections de combat.
Le procès de Bordeaux en 1953* a permis de juger 21 soldats sur 64 identifiés de la compagnie et de déterminer les rôles de chacun, dont 13 Alsaciens incorporés de force.
Quant aux officiers, Diekmann est mort sur le front de Normandie le 29 juin au sud-ouest de Caen. Toepfer et Klaar ont disparu dans ce même secteur. Le général Lammerding n'a jamais été inquiété, tout comme le capitaine Kahn (respectivement décédés en 1971 et en 1977). Seul le sous-lieutenant Barth a été jugé en 1983 à Berlin. Bien que condamné à la prison à vie, il a été libéré en 1997 et est décédé le 6 août 2007.
*SS jugés à Bordeaux en 1953:
SS-Oberscharführer Karl Lenz
SS-Unterscharführer Wilhelm Blaeschke, Georges-René Boos
SS-Rottenführer Wilhelm Boehme
SS-Grenadier Fritz Pfeufer, Hermann Frenzel, Albert Daul, Auguste Lohner, Camille-René Grienenberger, Jean-Pierre Elsaesser, Erwin Dagenhardt, Herbert Daab, Wilhelm Nobbe, Paul Graff, Joseph Busch, Albert Ochs, Louis Hoehlinger, Louis Prestel, Fernand Giendiger, Alfred Spaeth, Henri Weber, Jean Niess
le militaire allemand le plus gradé est condamné à mort ;
un autre Allemand qui a pu prouver son absence d'
Oradour le 10 juin est relaxé ;
quatre autres Allemands sont condamnés à des peines de travaux forcés de dix à douze ans ;
le seul Alsacien volontaire du groupe est condamné à mort ;
neuf Alsaciens sont condamnés à des peines de travaux forcés de cinq à douze ans ;
les quatre autres Alsaciens sont condamnés à des peines de prison de cinq à huit ans.
La population alsacienne proteste contre les peines infligées aux Malgré-nous, car ceux-ci ont été contraints d'exécuter les ordres des supérieurs allemands. Le procès de Bordeaux symbolise en quelque sorte le malaise alsacien : la population française n'a, dans sa grande majorité, pas connaissance du drame des 130 000 Alsaciens et Mosellans incorporés de force dans les armées allemandes. Quant aux familles des victimes - et au Limousin en général -, ils trouvent les sentences scandaleusement indulgentes : d'après eux, tous les participants au massacre auraient dû être condamnés à mort.