Témoignage de la débâcle de 1940

En brocante ce matin j’ai récupéré cette lettre originale d’un soldat à son capitaine qui peint la débâcle de 1940 : retraite désorganisée, exode civil, attaque allemande, crimes de guerre, prisonniers de guerre, évasion…
Il me semble que les lettres aussi parlantes ne sont pas les plus fréquentes. Je l’ai rapidement retranscrite ici, si jamais vous remarquez que j’ai mal relu un mot ici ou là signalez le moi et je rectifierai.

« 22 Juillet 1940
Mon capitaine,
Je ne sais si ma lettre parviendra à vous toucher . Cependant je ne veux pas manquer en remerciement de toute la bienveillance que pendant les longs mois de guerre passés sous vos ordres vous n’avez cessé de me témoigner, de vous donner les derniers détails que je puis vous communiquer sur la Cie Crulo de GG et sur vos pelotons de D.C.R.
Le 16 juin la Cie et les pelotons quittèrent définitivement Cernay pour Gerardnrer. Pendant toute la semaine qui suivit c’est-à-dire jusqu’au 21 au soit nous avons pu assister au triste spectacle que pouvait être celui de notre pauvre armée d’Alsace en déroute, pendant ces jours affreux ce ne fut qu’une file interminable d’unités de toutes armes, se repliant sans ordre, sans chef, le tout mélangé à l’exode civil qui n’était pas mieux dirigé. Puis ce fut l’attaque de Gerardmer qui commença le 21 Juin à 18 heures pour se terminer le 22 à 10h15. Le matin toute résistance étant devenue impossible, les allemands devant notre résistance ayant fait usage de canons et de mortiers qui rendaient intenables les positions qui n’étaient que de simples barricades de rues derrières lesquelles il n’était pas possible de résister quand tombaient les mortiers et obus fumigènes.
Cependant, de replis en replis avec quelques autres j’ai pu arriver jusqu’au Gd E.M. qui fut le dernier point de résistance. C’est là que le général et son E.M. fut avec nous fait prisonnier.
Je ne suis certes pas qualifié mon Capitaine pour vous donner mon appréciation sur ce que fut cette résistance mais si par la suite vous avez l’occasion de revoir Mr le Lieut. Pagès, sûrement lui pourra-t-il vous faire part de ce qu’a pu être en ces dernières heures de bataille, son écœurement profond devant l’incapacité de beaucoup de responsables et devant la lâcheté et la peur des autres. Je ne sais pas ce qui se passa à la Cie mais pour le D.C.R. nous étions 4 à nous battre. De Cerustitz, Chaput, Martin et moi, vous voyez que sur le 2e peloton il y avait du déchet les autres étant restés cachés dans une cave dans la crainte d’avoir à subir les représailles allemandes. L’aspirant commandant ce peloton nous a prié tous les 4 d’aller nous battre et tirer ailleurs et de faire la guerre « selon notre conscience » mais de n’en pas faire supporter les conséquences aux autres ! C’est donc comme des rats dans une cave qu’ils furent faits prisonniers tous ayant déposés leurs armes devant la porte ! Heureusement il n’en fut pas de même pour mon chef à moi Mr Pagès, ni pour le Ln Lombard qui eux firent tout leur devoir avec le vrai courage de vrais officiers dont on peut être fier, que eux ne se rendirent qu’après le « Cessez le feu » et les armes à la main.
Voilà, mon capitaine ce que je pense que vous serez désireux d’apprendre. Maintenant voici le bilan de la fin : Mr le Lieut. Cornillon de la Cl. Fes a été tué après avoir été fait prisonnier, les allemands l’ayant obligé avec d’autres à marcher devant eux entre 2 barricades. Vassal également lui aussi a été démoli dans les mêmes conditions, il était du 1er peloton. Farge du 2e peloton lui a été tué pareillement. Claveret du 2e pelotion a été tué 5 minutes avant la fin par un éclat de mortier qui lui a ouvert la gorge juste à côté de moi. De la Cie je ne sais ceux qui furent tués. Mais en tout cas à part le Lt Cornillon aucun autre officier ne fut atteint. J’ai vu emmener par les allemands Mr le Cn Peyrat, Mr le Capne De Mourgues, Mr le lieut Pagès, Mr le Lieut Charpenent, Mr le lieut Giraud, Mr le Lt Lombard et l’aspirant Fouchet. Tous vos sous-officiers également sont en bonne santé.
Vos hommes Soignon, Dumas, Laforest, Porte non plus n’ont pas de mal, il en est de même pour Sausy. Quant à moi avec mon ami Torce qprès avoir subi pendant 12 jours le régime de prisonniers nous nous sommes évadés le 3 Juillet et depuis quelques jours nous voilà chez nous après bien des tribulations. Nous avons prévenus toutes les familles que nous connaissions et maintenant après avoir signalé notre retour au dépôt du 13e Train nous attendons notre libération militaire.
En l’attente mon capitaine d’avoir le grand plaisir de vous rencontrer, veuillez recevoir avec mes respectueuses salutations l’assurance de mon toujours très profond dévouement.
Henri Dapzol 11 rue du collège. Billom. P. de. D. »





Vu que je n’étais pas loin de l’adresse indiquée en fin de la lettre je suis allé sur place et j’ai retrouvé la maison, devant l’ancienne école militaire. Le nom n’était plus le même sur la boîte aux lettres…









J'ai également trouvé sur le net cette photo qui semble avoir été prise lors de l'occupation de Gerardmer:

Excellent témoignage. Ca parle bien mieux que n'importe quel bouquin. Bravo pour cette découverte.

Whaaou !!Très jolie récit ,

Je ne connaissais pas cette images ,qui en plus de tout, est de mon département mais aussi proche de mon domicile !

Très belle lettre a garder précieusement et merci pour le reportage photo !

Bonjour,
En effet, beau témoignage sauvegardé !
Sympa pour le partage.

@+
Stéph.

Effectivement, j'ai été étonné de tomber sur une lettre aussi loquace.

Parmi les prisonniers utilisés comme bouclier humain par les Allemands, et tués, on en retrouve certains sur le site Mémoire des Hommes:

François Jean Marie CORNILLON
Mort pour la France le 22-06-1940 (Gérardmer, 88 - Vosges)
Né(e) le/en 02-03-1911 à Clermont-Ferrand (63 - Puy-de-Dôme)
Unité 13e Train auto
Mention Mort pour la France
Cote AC 21 P 108300

Louis Antoine VASSAL
Mort pour la France le 22-06-1940 (Gérardmer, 88 - Vosges)
Né(e) le/en 18-09-1908 à Saint Étienne (42 - Loire)
Mention Mort pour la France
Cause du décès des suites de blessures
Cote AC 21 P 165516


Cela confirme donc l'unité, le 13e Train auto, quant aux DCR il doit s’agir des Détachement de la Circulation Routière, comme ceux là (du 24e escadron du train):

Un document très très intéressant et un beau travail de recherche !

bonjour Cathelineau
merci pour le partage, c'est très intéressant
cdlt
cédric

Merci, quel document ! Quel brave gars.
On savait que le débâcle avait été (dans son ensemble) lamentable de lâcheté.
Mais connaissait-on beaucoup d'exemple de ces exactions du vainqueur à l'encontre de ceux qui ont résisté ?