Une anecdote intéressante, qui, peut-être, en étonnera certains, à propos de ce journal.
Plus particulièrement d'une série de publications qui eut cours en 1934.
Cet homme se nommait Leopold Itz, baron de Mildenstein. LIM pour les intimes.
Journaliste pourvu d'une formation d'ingénieur, membre n° 106678 du parti national-socialiste, il intégra la
SS en 1932.
Coutumier d'excursions au Moyen-Orient, qu'il effectuait au moins depuis son adolescence, von Mildenstein se montrait bien disposé envers la cause sioniste, à laquelle il adhéra progressivement dans l'Autriche-Hongrie cosmopolite d'avant-guerre où elle était véhiculée, notamment lors de congrès.
Par indécision, pragmatisme voire désintérêt, la politique gouvernementale relative au sort des juifs n'était pas clairement déterminée en 1933 ; mouvements politiques et individus disposaient encore d'opportunités pour proposer des pistes à suivre afin de la définir.
L'intérêt pour le sionisme chez les 500 000 juifs d'Allemagne alla croissant après l'accession du Führer à la chancellerie.
Convaincue d'être le seul mouvement capable de traiter avec les autorités, la
Zionistische Vereinigung für Deutschland (
ZVfD) leur adressa le 21 juin un mémorandum appelant, notamment, à une émigration juive en "Terre promise" facilitée par le gouvernement.
C'est là que von Mildenstein entre en scène. Perçu par ses camarades SS comme un bon connaisseur de la question juive, il considérait favorablement le programme sioniste, y voyant une solution modérée et réaliste dont juifs et allemands pouvaient tirer un mutuel bénéfice.
La proximité idéologique y était pour quelque chose : les sionistes étaient conscients, voire revendiquaient, que les juifs formaient une entité irrémédiablement exogène au sein de la Volksgemeinschaft germanique. Et des autres nations plus généralement.
Volonté pour eux de former une communauté d'esprit et de sang sur leur terre propre ; volonté pour le national-socialisme d'évacuer cet exogroupe hors d'Allemagne voire d'Europe. Congruence.
Kurt Tuchler, un juriste juif militant, membre puis délégué de la
ZVfD, reçut la mission de contacter, dans la NSDAP, les individus sympathisant avec sa cause. Il s'agissait d'obtenir leur soutien afin d'élargir l'audience, tant chez les allemands que chez les juifs indifférents à ces idées, du mouvement sioniste et de son projet.
Il demanda à von Mildenstein, folliculaire comme nous l'avons dit, d'écrire quelque panégyrique au sujet des accomplissements juifs en Palestine dans la presse nationale-socialiste.
Le baron imposa une condition : il devait voir de ses propres yeux ces réalisations.
Trois interrogations devaient trouver réponse lors de ce voyage d'étude :
1) Quel avenir a cette terre ?
2) Quelles sont les chances du sionisme dans ce Moyen-Orient agité ?
3) Est-ce là, enfin, la solution à la question juive ?
Ils partirent de Trieste, en compagnie de sept ou huit centaines de passagers, tous juifs ou presque - ce qui troubla quelque peu le baron, à bord du navire Martha Washington - propriété d'une compagnie maritime britannique qui profitait économiquement de l'émigration juive, assez forte en dépit des règlements anglais sur place.
(Tuchler, son épouse et celle de von Mildenstein)
S'y trouvaient des Halutzim - jeunes pionniers - fiers et motivés, dont von Mildenstein fait mention dans son premier article, et ceux que les Halutzim surnommaient les "Sionistes de janvier" : des touristes juifs d'Allemagne voulant découvrir la Palestine afin, peut-être, de s'y installer pour fuir l'Allemagne hitlérienne.
Au volant d'une voiture allemande, les deux comparses se rendirent après quelques péripéties de Haïfa à Tel Aviv, l'une des premières cités érigées par les pionniers juifs. Cité sans
goyim, toute de modernité occidentale et rejetant l'orientalité.
Inachevée, la ville voyait ses habitants se loger dans des conditions jugées primitives par von Mildenstein, et qui rebutèrent certains juifs de la classe moyenne fraîchement débarqués d'Europe, et qui y retournèrent sans tarder. Cet aspect des choses fut néanmoins vite oublié par l'auteur à mesure que ses pérégrinations dans des collectivités moins urbaines suivaient leur cours.
La surprise qu'offre la série réside en ceci : prenant l'exact contrepied des affirmations d'airain qu'Adolf Hitler inscrivit dans son livre, von Mildenstein relata dans ses articles, avec une certaine mesure toutefois, l'étonnement qui fut le sien à la découverte de l'idéalisme et de l'industrie de ces colons - deux traits de caractère sur l'absence desquels les pages de Mein Kampf se veulent insistantes en ce qui concerne les juifs.
Les opinions de von Mildenstein sur la vénalité juive se brisèrent sur l'écueil des
kvutzot et des
moshavim (exploitations agricoles, futurs
kibboutzim) : il y rencontra des juifs déterminés à former, de part et d'autre de la contrée, un nouveau territoire judaïque à la sueur de leur front, et sachant se contenter du nécessaire. S'agglutiner dans les villes par soif ou besoin d'argent ne leur servait de rien.
Le propos d'un de ces juifs, le dénommé Gourion, apparaît ainsi dans l'un des articles :
"Wir kriegen unsere neue Heimat nicht geschenkt, wir müssen sie erarbeiten."Le parallèle est ici éclatant, voyons plutôt. 10 février 1933, Palais des sports de Berlin :
"Wenn wir selbst dieses deutsche Volk emporführen durch eigene Arbeit [...], dann werden wir wieder emporsteigen, genau wie die Väter einst auch Deutschland nicht geschenkt erhielten, sondern selbst sich schaffen mussten." - Adolf Hitler
...
Le contraste entre ces juifs revigorés, fort différents de ceux des shtetls pouilleux de jadis, et l'influence transformatrice que pouvait exercer sur un peuple dégénéré (
'Entartetes Volk') cet enracinement nouveau à un sol enthousiasmèrent le futur SS-Untersturmführer.
La traversée du pays se prolongea six mois, alors même que les tensions entre arabes et juifs, et arabes et britanniques, s'aggravaient. L'année suivante, sous son pseudonyme LIM signé en lettres hébraïques, von Mildenstein fit paraître au quotidien de Joseph Goebbels, entre le 26 septembre et le 9 octobre 1934, le récit de son voyage en douze articles, dans lesquels il n'est guère fait mention nette de son accompagnateur Tuchler.
En témoignent la teneur des textes et son activité politique ultérieure, il était effectivement gagné à la cause sioniste, bien que non philosémite.
Sa conception du sang et du sol comme unité mystique demeurait proche de celle portée par des dignitaires comme Richard Darré, mais se voulait cohérente en s'appliquant à d'autres communautés que l'allemande.
Impossible de dire à quel point cette série a réorienté le point de vue des lecteurs sur le problème juif et sur le projet sioniste.
La convergence d'intérêts fut toutefois remarquée par l'administration SS en la personne du SS-Gruppenführer Reinhardt Heydrich, puisque von Mildenstein en vint à diriger, en 1935, la section II/112 du SD consacrée aux affaires juives.
La direction du journal fit frapper, à destination de ses abonnés et afin de promouvoir ces publications, une médaille en bronze.
Pourtant simple cadeau publicitaire, ce petit objet est parfois présenté comme pièce à charge au dossier de la collusion entre sionisme et national-socialisme.
Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet, mais nous résumerons largement :
Des financements réels ou supposés de la NSDAP par des ploutocrates israélites ; la collaboration entre administration allemande et mouvements sionistes au début du IIIè Reich ; un accord de transfert dont il faut relativiser l'importance et la nature, etc... : ces quelques éléments parmi d'autres, véhiculés par des polémistes, historiens ou économistes (souvent américains d'ailleurs), ont contribué à la germination d'une tendance idéologique, consistant à désigner Hitler comme un instrument - si ce n'est un acteur volontaire - de l'épanouissement du sionisme mondial et de l'accomplissement de ses buts. Son antisémitisme farouche aurait par contrecoup permis l'établissement de l’État d'Israël.
Il peut y avoir autant de raisons, conscientes ou inconscientes, qu'il y a d'individus pour appuyer cette thèse.
Une analyse intéressante d'un de ces mécanismes de pensée :
"Remarquons également que nombre de ceux qui ont adopté la position selon laquelle « Hitler était un sioniste » ont souvent tendance à être des individus — aussi bien intentionnés qu’ils soient — qui évoquent cet argument afin de « prouver » qu’ils ne sont pas « anti-sémites », comme pour dire « Eh bien, même si je suis un critique d’Israël, je ne suis pas « comme Hitler », puisque, après tout, c’est Hitler qui a contribué à créer l’État d’Israël. »"Cette médaille se trouve encore chez certains vendeurs, à un prix dépassant le millier d'euros lorsqu'il s'agit d'authentiques. Car, oui, cet objet a été copié. Naturellement...