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 Les Grecs en Orient du VIIIème au IIIème siècle av. J.C.

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poddichini
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poddichini


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Thème de collection : Coloniale et colonisation - uniformes, coiffures, archives
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Les Grecs en Orient du VIIIème au IIIème siècle av. J.C. Empty
MessageSujet: Les Grecs en Orient du VIIIème au IIIème siècle av. J.C.   Les Grecs en Orient du VIIIème au IIIème siècle av. J.C. EmptyJeu 16 Avr - 9:53

Bonjour,

avant de me spécialiser dans l'étude de la colonisation aux XIXème et XXème siècles, je me suis intéressé au phénomène colonial dans sa globalité, et notamment à la colonisation grecque autour de la Méditerranée au cours de l'Antiquité. Cela m'a amené à m'intéresser à la présence grecque en Orient, particulièrement entre les VIIIème et IIIème siècles av. J.C.
Je partage ainsi un article rédigé il y a quelques temps à ce sujet. Le domaine militaire n'est pas oublié, et vient en fin d'écrit.

Pour des raisons de commodités, toutes les dates indiquées doivent être comprises comme av. J.C.

Depuis les siècles obscurs, à savoir du XIIème au XIème siècles, l'Orient a constitué pour les Grecs une terre d'exotisme, riche en ressources rares, précieuses et convoitées. Grecs et Orientaux ont développé des civilisations importantes en termes démographiques et commerciaux. Riches de leurs cultures respectives, les différents peuples tissent des liens durables, parfois entrecoupés de tensions, voire de conflits. Malgré tout, certains historiens voient en ce début d'époque archaïque l'idée d'une « Petite Grèce », repliée sur elle-même. Cette thèse est contestée, notamment par N. PURCELL, privilégiant la thèse d'une Grèce ouverte sur le monde, favorable aux échanges culturels et commerciaux, notamment auprès de la civilisation phénicienne dominant la Phénicie et la Syrie ou, plus tard, l'empire achéménide, dont les rapports sont néanmoins belliqueux.
La place des mobilités grecques constitue une place importante ici, mobilités et réseaux étant devenus des sujets de recherche « à la mode » dans les études coloniales, et des historiens comme PURCELL, HORDEN ou A. BRESSON se sont attachés à montrer la place non négligeable des mobilités grecques et des réseaux que les Grecs ont tissés avec le monde extérieur à la Grèce centrale et l’Égée. Plus particulièrement, il faudra s'intéresser ici à l'Orient. Cet Orient est une région géographique vaste, allant des côtes occidentales de l'Asie Mineure jusqu'aux confins de l'Asie centrale, en contact avec les civilisations indiennes. Il nous faudra inclure ici les terres au sud de la Méditerranée, de la Cyrénaïque des Battiades à l’Égypte, en excluant toutefois la Propontide et le Pont-Euxin. La Méditerranée, dans un tel sujet, occupe une place centrale pour les contacts établis par les Grecs avec les terres orientales ; mais il ne faudra pas non plus oublier l'importance prise par l'occupation grecque, sous différentes formes, à l'intérieur des terres, et jusqu'aux confins de l'empire séleucide, celui de Séleucos III, qui constituera notre limite basse. Les premiers contacts des Grecs avec les terres orientales sont plus lointains que notre limite haute, le VIIIème siècle. Mais, pour ne pas s'éloigner, nous débuterons par les implantations grecques en Phénicie, comme à travers le comptoir d'Al Mina. Les Grecs en Orient ont pu également développer des contacts, plus ou moins amicaux, avec les populations locales, populations pacifiques et guerrières.
A travers ces éléments, comment peut-on expliquer la mobilité et les contacts des Grecs en Orient et ses occupants, amenant à une hellénisation plus ou moins aboutie, plus ou moins durable et progressive de ces populations, pouvant même provoquer des mouvements de résistance ?

Les premiers contacts grecs, les premières mobilités grecques en Orient sont le fait de marchands, d'abord sous la forme d'emporion dans les territoires orientaux ; puis d'une manière plus durable dès lors que les Grecs conquièrent une majeure partie de cet Orient.
Tout d'abord, il faut dire que les mobilités et les réseaux, comme a pu le démontrer Alain BRESSON, doivent être vus sous l'angle commercial. Les Grecs et les Orientaux, du VIIIème au VIème siècles développent d'intenses relations commerciales, car les Grecs ne disposent pas, sur leur sol, de ressources suffisantes pour une population en croissance, à la fois démographique et économique. Ainsi, par nécessité, il était de l'intérêt des Grecs de trouver ailleurs de quoi nourrir sa population et donner au monde de l'artisanat les matériaux nécessaires à la production. C'est ainsi que l'Orient offre un excellent débouché pour trouver ces produits. Les Grecs trouvent en Syrie et en Égypte un débouché commercial florissant du fait de l'importance prise par les terres phéniciennes et pharaoniques. Ainsi, les Grecs obtiennent le droit par ses populations de s'implanter dans une partie du territoire, terrestre ou maritime, afin de constituer des comptoirs commerciaux : les emporion. Ceux de Syrie ont fait l'objet de fouilles anglaises dans les années 1930. L'emporion d'Al Mina apparaît être fréquenté par les Eubéens dès le milieu du VIIIème siècle, malgré la persistance du débat historiographique concernant l'implantation durable ou non de ces Grecs sur ce comptoir, du fait de la rareté des matériaux grecs, mis à part quelques traces de céramique. Tell Soukas et Posideion, au sud de l'embouchure du fleuve Oronte, présentent aussi des traces d'implantation grecque, malgré le caractère phénicien du bâti. De ces emporion, les Grecs exportent métaux précieux, étoffes, épices venus de l'arrière-pays phénicien et échangent contre ces produits de la céramique. De l'Orient, il est important de souligner que les Grecs se voient influencés par le style orientalisant. La céramique orientalisante constitue même en Grèce une place importante dans les décors de ces objets à l'époque classique.
Mais, c'est sur la côte sud de la Méditerranée que l'on trouve la plus riche documentation à l'époque archaïque. L’Égypte et la Cyrénaïque constituent pour les Grecs des lieux importants de commerce, leur permettant de se procurer les produits rares et indispensables à leur consommation : de Cyrène, fondée par l'oikiste Battos en 631, venu de Théra en Égée, les Grecs rapportent le blé, les dattes et le silphion, plante rare aux vertus médicinales. De l’Égypte, par l'intermédiaire de Naucratis, l'emporion de la branche canopique du Nil, ils chargent également le blé, mais aussi l'ivoire venu des terres d'Afrique noire. Hérodote souligne l'importance prise par l'emporion de Naucratis, dont la concession par le pharaon Amasis date de 630. En effet, il constitue un carrefour commercial pour les Grecs de cette Méditerranée orientale, continuellement fréquentée.  De l'époque archaïque donc, la Méditerranée orientale prend une importance grandissante pour les Grecs, dont les territoires civiques et démographiques obligent à trouver ailleurs qu'en Grèce centrale et égéenne les ressources indispensables à la prospérité.
A partir du Vème siècle et jusqu'au IIIème siècle, les mobilités commerciales grecques en Orient prennent plus d'importance et les réseaux commerciaux deviennent intenses à la suite de la conquête de l'Orient par Alexandre le Grand, de 336 à 323. Les routes commerciales et fluviales présentent un intérêt grandissant pour les Grecs, désireux de les sécuriser du fait de la pression exercée par les Mèdes sur la côte occidentale d'Asie Mineure, puis en Grèce égéenne. L'approvisionnement étant menacé, les communications, au Vème siècle, avec l'Orient sont moins bien documentées. Et c'est vraiment à partir du IVème siècle, lorsque la Grèce retrouve enfin la paix, à la suite des Guerres médiques et la longue Guerre du Péloponnèse, que les échanges deviennent florissants. Al Mina et Naucratis sont toujours là, n'ont pas perdu leur statut d'emporion ; au contraire, dans le cas de Naucratis, qui, lors du règne du Lagide Ptolémée, obtient le statut de polis, c'est-à-dire, une cité. La conquête d'Alexandre en Égypte, puis l'implantation de la dynastie lagide, permettent au Grecs d'ouvrir un peu plus le commerce vers l'Afrique et l'Arabie, ce que B. LEGRAS a bien démontré dans ses travaux. Cet historien s'est aussi intéressé aux modes d'implantation des Grecs par des transferts culturels et sociaux, montrant le rôle de l'exploitation de la terre royale (la gê hiera) et de celle des clérouques pour l'approvisionnement de la Grèce centrale en blé. On dit même de cette Égypte qu'elle constituait le grenier à blé de la Grèce. Ces réseaux commerciaux se développent aussi autour du royaume des Séleucides. L'exploitation de la chôra politiké et de la chôra basiliké, terres civiques et terres royales, permettent de nourrir les colons greco-macédoniens venus s'installer ici, en Syrie du Nord, en Perside, en Mésopotamie, et permettent de dégager des surplus, qui prennent une large place, comme le démontre Édouard WILL, dans le commerce. L'implantation grecque en Orient, à partir du IVème siècle, permet de sécuriser puis d'ouvrir de nouvelles routes commerciales. En Asie Mineure, la cité de Sardes constitue une plaque tournante de ces routes vers l'Orient ; elle l'était déjà au moment de la conquête perse, et s'en retrouve bonifiée par la présence antigonide. Plus à l'Est, des cités séleucides constituent aussi des places commerciales de choix pour les échanges, à l'image de Laodicée sur Mer, fondation de Séleucos Ier, au tournant des IVème et IIIème siècles, à proximité de Posideion ; ou bien, cette fois-ci dans les terres,  de Séleucie du Tigre. Les fleuves et la Méditerranée constituent toujours pour les populations greco-macédoniennes le cœur du système commercial à la haute époque hellénistique. Elles permettent d'approvisionner la Grèce centrale, et de trouver les métaux précieux tant recherchés, tout comme les textiles, comme les laines milésiennes et les étoffes de Pergame. La nouveauté de cette période réside dans le développement de cités ou de simples places de commerce aux confins des territoires conquis et défendus, devenant les premiers points de rencontre entre Grecs et locaux, à l'image de Philotera ou Ptolémaïs de la Chasse aux Eléphants, dans l’Égypte des Lagides, ou encore de Spasinou-Charax, ancienne Alexandrie Charax, au débouché du Tigre et de l'Euphrate, place importante pour le commerce avec l'Inde. Ainsi, les Grecs s'appuient sur des cités ou des places de commerce pour structurer leurs échanges et activer leurs réseaux où, selon la pensée d’Édouard WILL, ce sont Rhodes et Alexandrie qui jouent le rôle de moteurs et de transit de marchandises.

Le commerce a été, pour les Grecs, nous venons de le voir, une des premières formes de leurs mobilité et implantation en Orient. Mais cette implantation s'est aussi traduite par l'instauration d'un modèle socio-culturel puisant ses sources en Grèce propre et se transplantant dans plusieurs de ses caractéristiques en Orient, du VIIIème au IIIème siècles.

Avec le commerce, les Grecs ont amené des cultes en Orient, cultes et rites plus ou moins influencés par ceux des populations indigènes ; mais aussi, c'est l'implantation de la paideia, la culture grecque, passant en particulier par la science et la littérature.
La religion grecque a donc voyagé elle aussi, avec les Grecs d'abord, puis avec les Greco-macédoniens, jusque dans les terres orientales. Dès l'implantation des emporion, les cultes grecs sont attestés en Orient, à l'image d'Hérodote nous décrivant l'implantation d'un sanctuaire panhellénique à Naucratis. Amasis a accordé, à un regroupement de cités doriennes comme Cnide et Halicarnasse, et de cités ioniennes comme Colophon, la possibilité de bâtir un hellenion, sanctuaire de tous les Grecs. La cité de Samos fait construire un sanctuaire en l'honneur d'Héra. Dès les débuts, dès les VIIIème et VIIème siècles, les rites religieux grecs sont présents en Orient, ne menaçant pas néanmoins ceux des populations locales. En effet, il faut souligner l'importance séculaire des religions orientales et, au fil des siècles, leur place au sein des populations indigènes. Ce qui est à noter, c'est que les Grecs, à la suite de la conquête par Alexandre le Grand, ont pris soin, soit de fusionner les cultes, soit de préserver ou restaurer certains temples et sanctuaires prisés des populations locales. Maurice SARTRE et Édouard WILL démontrent ces deux aspects à travers la religion. Ainsi, à partir du IVème siècle et surtout au IIIème siècle, les Greco-macédoniens se sont appropriés certaines divinités des panthéons locaux, pour les associer à celui des Grecs. Ce fait est très net dans l'Egypte lagide, où sont attestés les cultes d'Hermanubis, divinité hybride mêlant l'Hermès grec et l'Anubis égyptien (dieu à tête de chacal, dieu des morts et du passage vers l'au-delà), celui d'Osérapis, bénéficiant à Thèbes et à Alexandrie d'un lieu de culte particulier : le Serapieion. Dans le royaume séleucide, les dieux grecs Apollon et Artémis ont souvent été associés aux dieux locaux. La restauration des cultes locaux était aussi une manière pour les Greco-Macédoniens de montrer leur respect et leur volonté d'association envers les populations locales. Ainsi, les « Diadoques », à savoir les successeurs d'Alexandre puis leurs fils, les « Épigones », donnent une grande importance à la reconstruction des temples et la réfection des sanctuaires détruits lors des conquêtes précédentes. L'Esagil de Babylone, lieu de culte du dieu Bâal-Mardouk, ou le temple de Nanaïa à Suse, font partie de ces lieux que Séleucos Ier, puis son fils Antiochos Ier, préservent et font redonner leur éclat passé. Également en Égypte, les prêtres thébains, au service des divinités, gardent tout le prestige attaché à leur charge, un prestige pluri-séculaire au service du pharaon. B. LEGRAS a également montré la spécificité des rois lagides (mais aussi séleucides), devenant plus que des rois, des pharaons, montrant là la double personnalité du souverain lagide. D'ailleurs, il faut préciser que les femmes de la dynastie, bénéficiaient elles-aussi de leur culte. L'apomoiria, impôt sur le vin payé par les Égyptiens, ne servait-il pas au culte de la reine Bérénice ? Malgré cela, on peut noter quelques formes de résistances religieuses chez les populations locales, désireuses de conserver le prestige d'une religion ancienne et bien ancrée dans les mœurs.
Ces mœurs, justement, rencontrent avec la présence des Grecs en Orient, une nouvelle forme de culture : la paideia grecque. Passant par le suivi des rites et les offrandes aux dieux du Panthéon, cette culture grecque, jugée la meilleure des civilisations par Hérodote et Polybe, est l'élément essentiel d'une hellénisation progressive des populations indigènes. Par l'éducation, par la langue, la fameuse koiné, à l'époque hellénistique, les Grecs imposent, en particulier à la frange aristocratique de la population, un mode de vie spécifique, loin des us et coutumes anciennes. Isocrate s'en fait un des plus beaux échos quand il dit que la culture est bien plus que la naissance l'élément essentiel qui fait que l'on se sent hellène. Cette culture passe par plusieurs structures. A l'époque classique, ce sont les fêtes panhelléniques et les panégyries qui permettent aux Orientaux d'entrer en contact avec cette paideia, et notamment les populations d'Asie Mineure. Le mode de vie grec, de part les produits et les contacts avec les marchands, peut parfois s'imposer de lui-même, sans besoin de peuplement grec. Ainsi, au VIème-Vème siècles, les pharaons saïtes ont-ils goûtés, par l'éducation et les valeurs, à cette influence grecque.
Les conquêtes perses lors des Guerres médiques, de 490 à 479, ont permis une interpénétration des valeurs, et des échanges culturels, en particulier dans la façon de se vêtir, ou dans les objets du quotidien. Mais c'est surtout au moment de l'implantation durable des Grecs en Orient à partir du IVème siècle que cette paideia se transmet aux populations locales, surtout la noblesse ancienne. Par l'implantation du gymnase, on a là un remarquable exemple d'une fine ouverture. Il est vrai que cette structure, à la fois sportive et éducative, ne reste ouverte aux locaux que pour une courte frange de l'aristocratie, souvent issue des mariages mixtes entre Greco-Macédoniens et locaux. Le gymnase donne à l'élève qui le fréquente la possibilité de s'essayer aux activités sportives dans la palestre, et aux cours de rhétorique et de philosophie dans des salles de cours attenantes. Lieu de vie culturel, lieu par excellence d'une intelligence grecque, le gymnase est aussi un lieu de rencontre, pour tout ceux qui se sentent hellènes. Présent à Pergame dans la ville moyenne, à Aï Khanoum aux confins de l'empire séleucide, et de l'emprise grecque en Orient, et dans les cités de la Tétrapole (Antioche et Apamée sur l'Oronte, Séleucie de Piérie, et Laodicée sur Mer), il fait partie du décor urbain grec. E. WILL a bien étudié cet aspect, qui propose de voir que c'est la paideia, la culture qui, à l'époque hellénistique, supplante la condition de naissance et de sang pour se sentir faire partie de la communauté des Hellènes, la koinon des Hellènes. Ainsi, dans cette koinon peut entrer ce qui était avant une toute petite partie de la population locale, qu'elle soit égyptienne, perse, juive ou phrygienne.
Le modèle socio-culturel s'est implanté en Orient du VIIIème au IIIème siècle, également par une particularité de la paideia décrite auparavant : les sciences et la littérature. Ainsi, aux époques archaïque et classique, les vers homériques et les poèmes voyagent en Orient, à l'image d'Hérodote qui, au Vème siècle, s'offre à la visite des contrées orientales et donnent de ce voyage une Histoire et des Enquêtes. Strabon fit de même plus tard pour nous donner à voir les mœurs et habitudes des populations orientales. Également, l'empire perse, à l'époque classique, bien qu'en relation belliqueuse avec le monde grec, centrale et égéenne, est particulièrement adepte d'une science et de techniques nées dans le monde grec. La médecine constitue ici un remarquable exemple de la présence de Grecs à la cour des plus importants souverains orientaux. On peut ici parler de la personnalité de Deimokédès. Originaire de Crotone, en Grande Grèce, à savoir l'Italie du Sud, ce médecin fut admis à la cours de Darius, roi des Perses, à la suite, dit-on, d'un déboîtement du genou causé par une chute à cheval. Les grands centres de médecine que sont, en Asie Mineure, Cos et Cnide, fournissent aux Mèdes et autres empires orientaux, les médecins qui deviennent alors attachés à leurs cours. Ce type de mobilité, particulière peut-on dire, est très intéressante afin de montrer que l'on a aussi affaire à des implantations individuelles de Grecs en Orient. A la haute époque hellénistique, avec l'implantation massive de colons greco-macédoniens, la littérature et les études grecques sont bel et bien présentes de  l’Égypte à la Mésopotamie, ainsi qu'en Asie Mineure. De grands centres intellectuels ont alors émergé, à l'image du plus important d'entre eux : Alexandrie d’Égypte. Cette cité fondée par Alexandre le Grand en 331, par les travaux de Deinocratès de Rhodes, polis cosmopolite certes, est certainement au IIIème siècle le plus grand centre intellectuel de l'Orient grec, si l'on en croît les travaux d'E. WILL et de B. LEGRAS. La bibliothèque de la cité, dirigée tour à tour par des hommes comme Anaximandre ou Ératosthène de Cyrène, et le Musée, sont les lieux du foisonnement intellectuel grec en Égypte. Poèmes homériques, poésies des plus grands comme Pindare, ou tragédies d'Eschyle sont lues par les Grecs et aussi par la frange aristocratique.
Même à l'autre bout du monde grec, en Afghanistan actuel, dans cette cité d'Aï Khanoum, dont les fouilles françaises dirigées par P. BERNARD n'ont pas permis de retrouver pour le moment le nom antique, on retrouve des références littéraires grecques : la présence de vers d'Euclide venus du sanctuaire d'Apollon pythien à Delphes l'atteste. Mais, il faut se garder d'un regard supérieur des Grecs sur les indigènes. En effet, les Grecs ont pu reprendre certaines techniques locales pour l'écriture, à l'image de la reprise du papyrus par les Grecs, utilisé dès les dynasties antérieures à l'époque archaïque, par les scribes égyptiens.

Le caractère grec en Orient s'est donc aussi imposé, et fut repris ou « combattu » par un modèle socio-culturel reprenant les rites et les modes de vie de la Grèce centrale. Également, il faut voir, dans un dernier temps, l'importance que les Grecs accordèrent à l'implantation d'un modèle civique dans les terres orientales, mais aussi le rôle et la place du militaire sous différentes formes, en Orient.

L'implantation de la cité en temps que territoire politique et institutionnel fut remarquable en Orient à partir de la période hellénistique ; modèle convoité et repris d'eux-mêmes par certaines populations orientales. Bien avant ce modèle civique, c'est par l'armée que les Grecs ont pu offrir aux Orientaux le poids de leur force.
Malgré un précédent à Cyrène, en 630, les fondations de cités grecques en Orient se situent toutes à partir de la fin de la période classique et le début de la période hellénistique, soit au milieu du IVème. Selon Pausanias, Alexandre, au moment de son Anabase, la « montée vers l'Orient », aurait fondé environ soixante-dix cités différentes, portant pour nombre d'entre elles son nom. Ce chiffre apparaît exagéré selon la majorité des historiens. Certes, le Conquérant fut aussi fondateur, en pensant à Alexandrie, ou Alexandrie Eschaté, Alexandrie Bucéphalia, Alexandrie Charax. Mais, ce sont ses successeurs, les Diadoques et les Épigones, qui reprirent le flambeau de la fondation de cités, que ce soit les Antigonides, les Séleucides, les Lagides. Nous avons déjà cité quelques exemples de cités fondées dans ces empires. Ce qu'il faut voir ici, c'est dans quels objectifs les a-t-on créées ? Il faut noter l'importance pour eux de recréer en territoire conquis un paysage familier aux colons arrivés de Grèce, de Macédoine, de Thrace et de l’Égée. La reprise d'un nom de type grec, hellène, était chose courante : on retrouve des Pella, des Chalcis en Orient. De plus, la reprise du modèle géographique de la cité mis en place par la théorie de Hippodamos de Milet, au Vème siècle, convenait bien ici. Créer des rues orthogonales, se coupant en angle droit, c'est rappeler un plan urbain déjà présent dans la métropole. Cette poliadisation, qu'elle soit le fait de création ex nihilo comme à Séleucie du Tigre, de synoecisme, comme à Stratonicée de Carie, montre bien l'importance pour les rois hellénistiques de donner à leurs populations nouvellement immigrées, ou plutôt de redonner, un mode de vie grec parfait. Cela passe donc par la reconstruction d'un modèle politique bien connu : présence d'une Ekklesia, l'Assemblée de tous les citoyens, d'une Boulè, le Conseil, de l'Héliée, le Tribunal populaire, de magistrats, afin de modeler la cité au modèle greco-macédonien. Utilement, la fondation de cités permet l'exploitation d'un territoire civique, dans la chôra politiké, ou plus largement aux alentours par les paysans indigènes, dans la terre royale, la chôra basiliké, cela dans le but de nourrir les colons installés dans la ville, l'asty.
Un autre phénomène a pu exister et fut décrit par Maurice SARTRE, c'est celui de la poliadisation voulue par les populations locales, faisant passer la ville ou la bourgade indigène au rang de cité. Un « effet d'entraînement » se retrouve dans les cités de Carie et de Lycie, au sud-ouest de l'Asie Mineure. Voyant d'anciennes cités grecques retrouver leurs cultes anciens et dresser à nouveau des temples, les villes indigènes de ces régions optent également pour des références à un passé ancien liant la ville à une cité grecque, à l'image de Nagidos. Cette ville dit avoir un lien avec la cité de Samos. Ces liens mythiques donnent une certaine « légitimité » à la population de cette ville, voulant entrer dans le champ de l'hellénisme. Mais, c'est plus à l'est, en Anatolie et en Syrie-Phénicie, que les promotions de villages indigènes au rang de cités sont les plus attestées et décrites notamment par P. BRIANT. L'Anatolie, à l'époque hellénistique est un foyer d'hellénisation actif, et nombre de cités se dotent elles-mêmes d'un statut civique les rattachant au monde grec, sans passer par la récupération d'un mythe de fondation ou d'un lien quelconque avec une véritable cité de Grèce centrale ou égéenne, mais en s'octroyant les institutions grecques traditionnelles (Ekklesia, Boulè, Prytaneion...) et en observant les cultes typiques du Panthéon grec. Ces cités peuvent aller plus loin que la tradition. J-C COUVENHES a montré que certaines cités d'Asie Mineure honoraient les évergètes de la cités, les bienfaiteurs, ce qui ne se faisait pas en Grèce centrale et égéenne (où seuls les étrangers et les métèques, en tout cas à Athènes, peuvent obtenir de pareils honneurs). Également, certaines villes indigènes promues au rang de cités vont très loin dans leur lien avec le monde grec, ce que Maurice SARTRE qualifie de « contre-acculturation », lorsqu'il parle de Sidon. Cette cité syrienne, en effet, se proclame métropole de la cité de Thèbes en Grèce centrale, dépassant là l'image traditionnelle de l'hellénisation des cités locales par les Greco-macédoniens. On voit ici, du fait donc de la présence grecque en Orient, un engouement certain pour la poliadisation.
Enfin, il faut voir qu'un modèle militaire grec a pu s'implanter en Orient, et ce d'abord par un phénomène de mercenariat à l'époque classique qui s'est poursuivi ensuite tout au long de l'époque hellénistique, en plus de la présence régulière d'armées greco-macédoniennes. La présence de Grecs en Orient est, côté militaire, le phénomène de recrutement de mercenaires dans les armées perses et égyptiennes notamment. On a retrouvé, en Égypte, de nombreux documents écrits relatant la présence de ces mercenaires dans les armées des pharaons, mercenaires souvent venus de la Grèce égéenne et des cités ioniennes ou doriennes de la côte occidentale d'Asie Mineure. Ainsi, par exemple, un graffiti situé sur le temple d'Abou Simbel mentionne la présence d'un général grec, nommé Potasimto, au service du pharaon saïte Psammétique, qu'on pense être Psammétique II. Potasimto est un Grec. Il a donc été recruté par ce pharaon en tant que mercenaire. Les deux auteurs de ce graffiti, écrit en grec, sont eux aussi Grecs, mercenaires pour ce même pharaon. L'un deux est nommé Eunochos. Les armées de Darius sont également composées d'une bonne partie de mercenaires grecs. Le phénomène de mercenariat se développe à la haute époque hellénistique, les rois continuant de trouver en ces hommes greco-macédoniens de solides combattants. Mais, désormais, une grande partie de ces hommes venus de métropole sont engagés dans les armées régulières, infanterie et cavalerie notamment. Ces armées sont issues de la grande armée macédonienne de Philippe II puis de son fils Alexandre le Grand, et nombreux sont les vétérans à peupler les fondations coloniales et les soldats en service à peupler les colonies militaires, les katoikai, et les garnisons, nommées phrourion, notamment dans le nord-ouest de l'Asie Mineure. Il faut s'arrêter sur une frange particulière de ces soldats que constituent, surtout en Égypte, les clérouques. Détenteurs d'un lot de terre, le kleros, ces soldats ont comme tâche de cultiver la terre royale, et d'être mobilisables à tout moment. Sorte d'armée de réserve, elle permet au roi de créer des bénéfices. Néanmoins, la majeure partie de ces clérouques confient à des Égyptiens l'exploitation de cette terre, et vont habiter une des trois cités égyptiennes : Alexandrie, Naucratis et Ptolémaïs, ou dans les plus importants nomes du royaume lagide. En effet, avant tout des Greco-macédoniens, ces soldats aspirent, comme les colons civils, à retrouver un mode de vie qui a toujours été le leur : celui de la cité.


Ainsi, la présence grecque en Orient, du VIIIème au IIIème siècles, a été une présence continue mais avec des différences d'intensité. Plutôt importante aux extrémités de notre période, elle a été moindre à l'époque classique, si on laisse de côté le phénomène du mercenariat, si l'on en croit les sources et le manque de documentation. Il faut dire que la Grèce était, à cette époque, occupée à régler ses problèmes internes. Néanmoins, par le commerce et les échanges culturels, religieux, par les soldats et par l'implantation d'un modèle civique, les Grecs ont apporté une manière de vivre en Orient. L'implantation y fut de plus en plus importante, et atteint un niveau auparavant inégalé, dès lors qu'Alexandre le Grand entreprend sa conquête des terres orientales. A partir de ce moment, on assiste à l'hégémonie grecque en Orient, hégémonie peu contestée et même porteuse d'hellénisation. Car c'est bien de cela dont on parle ici : une hellénisation plus ou moins poussée de l'Orient grâce aux mobilités et aux réseaux. L'Orient constitue, dans l'ensemble des diasporas grecques, du VIIIème au IIIème siècles, un exemple singulier, car il est le fait de rencontres de civilisations millénaires, ayant chacune leurs spécificités et s'interpénétrant grâce aux mobilités du monde méditerranéen et aux contacts repris par les populations grecques et locales.

Cordialement.
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Les Grecs en Orient du VIIIème au IIIème siècle av. J.C.
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