Bonjour
Je vous propose l’évocation d’un maquis du Sud de la France dont la particularité principale est d’avoir connu un destin tragique en juin 44 et accessoirement, de se situer dans mon environnement géographique immédiat
Le Maquis de la Chaine des Côtes, ou « Maquis de Sainte Anne », également connu localement sous l’appellation de « Maquis de Lambesc »
Situation
Implanté au Nord du département des Bouches du Rhône, le maquis de la chaine des Côtes était situé dans une zone boisée, au nord et à proximité de la petite ville de Lambesc. Il faisait partie des Maquis placés le long de la vallée du Rhône avec entre autres, ceux de Signes, Jouques, Vaison, Pierrelatte.
Origine et rôles du maquis
C'est au début de l'année 1943 qu'ont eu lieu, dans la région de Lambesc, les premiers contacts des volontaires, avec l'Armée Secrète, pour l'organisation d'un groupe de résistance, avec le concours de responsables locaux. Les instructions arrivent de Londres par l’intermédiaire d’agents de l’Armée secrète.
Avant les débarquements des alliés prévus dans le nord de la France et en Provence, l'activité du maquis consiste à :
- donner des renseignements sur les mouvements des troupes allemandes occupant la Provence.
- recevoir les parachutages d'armes et munitions, les mettre à l'abri, et les répartir dans les divers maquis de la région (Sainte Anne et Sèze, le Puy-Sainte-Réparade, Puyricard, Gardanne ...).
Immédiatement après les débarquements prévus, le rôle de ces maquis était de retarder, voire d'arrêter les convois de troupes allemandes :
-qui seraient éventuellement envoyées pour s'opposer aux forces alliées prenant pied en Provence (destruction des ponts, sabotage des câbles de communications, attaques des convois...),
- ou, inversement, qui se replieraient vers le Nord, pour soutenir leurs forces engagées sur le front de Normandie ( s'opposer à la destruction des centres téléphoniques, de ponts, de voies ferrées, qu'ils ne manqueraient pas de détruire pour gêner l'avance des alliés débarqués en Provence.
Dans l’éventualité du débarquement, les hommes se préparent pendant des mois, se réunissant clandestinement dans des lieux tenus secrets
L’ activation
Le 5 juin 1944, un message codé venu de Londres « Méfiez vous du toréador », ordonne que toutes les forces résistantes de l’armée secrète de la région R2 (Provence, Côte d’Azur) doivent rejoindre le maquis.
Venant des villages environnants de Lambesc, Rognes, La Roque d'Anthéron, Charleval, Alleins, Mallemort, St Estève Janson, et St Cannat, un peu plus de 300 hommes armés se regroupent dans une zone de collines boisées au Nord de Lambesc.
Le maquis est composé de deux groupes distincts :
Le premier, (environ 180 hommes) issu principalement des communes de Charleval et de La Roque d'Anthéron, se regroupe sur le plateau de Manivert également appelé plateau de Sainte-Anne.
Le second, (environ 150 hommes) issu principalement de Lambesc mais aussi Mallemort, Sénas, etc, se regroupe sur le plateau de la plaine de Sèze.
Nous verrons par la suite que ce particularisme aura des conséquences tout à fait différentes pour les deux groupes, l’un étant attaqué, l’autre pas. Les deux zones géographiques d’implantation sont distantes d’environ un kilomètre à vol d’oiseau mais séparées par un important dénivelé qui les isole de fait. L’altitude du plateau de Manivert (Ste Anne) est de 480 m, sa longueur étant de quelques centaines de mètres seulement.
Le choix de ce lieu pour implanter un maquis peut paraitre judicieux au premier abord : couverture végétale naturelle du milieu, proximité des axes de communication, proximité des villages alentour et des fermes pour se ravitailler, situation dominante qui permet une surveillance à 360 °. Mais dès qu’on se rend sur place, on ne peut que constater que cette colline, bien visible de toutes part, est relativement facile à cerner pour peu qu’on y mette les moyens. C’est du moins une forte conviction personnelle.
Vue du plateau de Manivert (Ste Anne)
L’attaque Allemande
Certains événements dont il est question ci après laissent supposer qu’ils sont à l’origine de l’attaque du maquis par l’armée allemande. Or, nous savons, aujourd’hui, que l’opération contre le maquis de la Chaîne des Côtes n’est pas liée principalement à ceux-ci, mais aux renseignements fournis aux occupants par un espion, l’agent « Érick ». De son nom véritable Maurice Seignon de Possel-Deydier, il est au départ, un agent de la France libre, connu dans la Résistance sous le pseudonyme de Noël. Parachuté en France, en provenance d’Alger, chargé en particulier de l’instruction au sein des maquis, il prend contact à Marseille, en mai 1944, avec les services du SIPO-SD et rencontre le SS Ernst Dunker. Il lui propose de fournir, contre rétribution, des renseignements sur « ses chefs et camarades ». Malgré les services rendus, il sera finalement liquidé au début du mois d’août par Dunker et ses hommes.
Evénements locaux préalables
Le dimanche 11 juin 1944 en début d’après midi, six maquisards armés de pistolets mitrailleurs s'introduisent dans l'usine de conserves "Beaudoux" pour « réquisitionner » auprès de sa propriétaire, un camion appartenant à l’usine.
En fin d'après-midi, un groupe de maquisard avec ce camion chargé d'armes, arrive par l'entrée nord de Lambesc coté route d'Avignon où se trouve un point de contrôle routier. Les Allemands tentent d’intercepter le véhicule qui force le barrage. Dans l’échange de coups de feu qui s’ensuit, les maquisards tuent un soldat allemand et parviennent à prendre la fuite malgré leurs poursuivants.
Dans l’après-midi, à la suite de cet accrochage, un détachement allemand arrive dans le village et arrête vingt-cinq hommes dans les rues, les bars et à domicile. Il les rassemble sur la place du village, avec l’adjoint au maire. Les vingt-cinq hommes seront relâchés dans la soirée.
L’assaut
Dans la nuit du 11 au 12 juin, des centaines de soldats allemands investissent les villages de Lambesc, La Roque-d’Anthéron, Rognes, Charleval et bloquent les routes et chemins d’accès pour la chaîne des Côtes. Très tôt le matin du 12, camionnettes et chenillettes armées de mortiers montent à l’assaut du plateau, appuyées par un Henschel 126 (appui au sol) et un avion de reconnaissance Fieselerstoch
Les effectifs allemands : environ 2000 hommes. (Selon les sources, ce chiffre fluctue entre 800 et 3000. Il est raisonnable de penser que 2000 se rapproche de la réalité compte tenu des hommes nécessaires au bouclage « large » et ceux qui mènent l’assaut proprement dit.). Dont :
- Une partie de la 244ème division d'Infanterie de la Wehrmacht
- Des éléments de la RAD (Reich Arbeits Dienst)
- Des unités de Français de la 8ème compagnie de la division
Brandebourg de la Wehrmacht, spécialisés dans l'infiltration et la
destruction de maquis.
- La Luftwaffe avec les avions précités et ses commandos de Salon de
Provence
Outre les véhicules de transport, ces troupes disposent de blindés légers à chenille type Sd Kfz 251, de mortiers de 81, de mitrailleuses légères MG 42 et de l’armement d’infanterie classique.
Face à ces unités nombreuses et bien armées, les quelques 180 maquisards « pris au piège » sur le plateau de Ste Anne ne peuvent compter que sur un armement léger des plus réduits : 1 mitrailleuse Hotchkiss modèle 1914, 1FM Bren, des fusils Mauser et Carcano, des pistolets mitrailleurs Sten ainsi que des mousquetons, des grenades, des fusils de chasse, des révolvers, du plastic.
Comme précisé plus haut, seul le plateau de Manivert (Ste Anne) est attaqué.
Toute la matinée du 12 juin, le combat fait rage et les maquisards se battent avec acharnement dans cette lutte inégale. Ils infligent des pertes sévères aux assaillants, mais les munitions s’épuisent. Les Allemands mettent le feu à la végétation pour venir à bout de la résistance qui leur est opposée. L’incendie gagne le plateau. L’ordre de dispersion est donné. La plupart des résistants de Sainte-Anne se replient vers le bassin de Saint-Christophe à l’est, au « Castellas ».
Le groupe du plateau de Sèze, qui n’a pas été concerné par l’attaque allemande, se disperse également, descend par le flanc sud, fait mouvement vers l’est, affronte les Allemands à La Bastide-Blanche, avant de se cacher au-dessus du château de Caire-Val. Quelques-uns de ses hommes rejoignent le maquis de Saint-Antonin.
La répression
L’ennemi procède alors à une chasse à l’homme. Des prisonniers et des blessés sont interrogés, torturés puis fusillés.
Tout au long de la journée, les hommes qui redescendent des collines et viennent prendre leurs occupations, dans leurs villages respectifs, sont arrêtés. Tous ne semblent pas avoir participé activement aux formations de la Résistance Certains mêmes qui étaient restés chez eux et qui se rendaient dans leurs champs ont également été arrêtés ». Tous les témoignages vont dans le même sens. Beaucoup de victimes n’étaient pas des maquisards.
Les exécutions commencent dans l’après-midi du 12 juin. Les hommes arrêtés à Charleval et à La Roque-d’Anthéron sont fusillés aux lieux-dits « Valbonnette » et « Pont d’Auvergne », à genoux, les mains liées derrière le dos. D’autres, d’abord conduits à Salon, sont ramenés le lendemain, et exécutés le soir, après 20 heures, au lieu dit « Le Fenouillet ». Mais, parmi les vingt-huit fusillés du "Fenouillet", certains n’habitent pas les villages du pourtour de Sainte-Anne. Ainsi que le reconnaît lors de ses interrogatoires Dunker-Delage, les Allemands se sont saisis de l’occasion pour se débarrasser d’autres prisonniers et « vider entièrement la prison du 7e étage du bâtiment 403 de la rue Paradis (à Marseille) …Les prisonniers furent mis dans un car et conduits avec d’autres prisonniers se trouvant dans la prison des Baumettes, au champ de bataille de la veille dans la forêt « Chaîne des Côtes » entre Charleval et Lambesc. Ils ont été exécutés sur les ordres de Pfanner [responsable de la Gestapo] ».
Le bilan humain des combats et de la répression
Pour la journée du 12 juin, il est fait état de 62 tués, directement liés à l’attaque sur Ste Anne
Pour la journée du 13 juin, le nombre de victimes lors du massacre du Fenouillet est de 28 (dont 10 ont été arrêtées la veille dans la région de la Chaine des Côtes)
Soit un total de 90 victimes « françaises » pour les deux jours.
Les pertes humaines du côté des assaillants ne sont pas connues.
Les rafles du 10 juillet 1944
Suite à une dénonciation, des rafles, ayant pour but l'arrestation des résistants encore en activité dans la chaîne des Côtes après les massacres des 12 et 13 juin 1944, sont organisées à l'aube du 10 juillet 1944. Les Allemands n'hésitent pas, il est évident qu'ils ont des noms et des adresses précises. De nombreux résistants sont arrêtés, torturés et fusillés.
Ainsi, la Ferme du "Grand Verger", propriété d' Henri B. et lieu de réunion des responsables de l'organisation du maquis de Sèze, est pillée et incendiée. Henri B. et deux de ses camarades parviendront à s'échapper, alors que Germain P. sera capturé, horriblement torturé puis assassiné devant les membres de sa famille.
Ces tueries n'empêcheront pas les résistants survivant de participer à des actions de sabotage organisées par d'autres groupes et ainsi d'aider à la libération de la France lors du débarquement de Provence le 14 août 1944.
Sources
Site « Le maquis de Sainte-Anne »
Le maquis de la chaine des Côtes – Collège Alpilles Durance Mallemort
Divers autres sites internet
Fond personnel
Il m’a paru intéressant de mettre, en perspective de cette compilation retraçant la tragédie du maquis de la Chaine des Côtes, un témoignage individuel qui ajoute des détails d’ordre plus émotionnels à cette évocation.
Voici donc sur cet événement le témoignage de Mlle M. T. qui réside à Lambesc et tenait un journal
A la date du 6 juin 44, elle évoque le débarquement puis elle écrit :
….C’est ainsi que se forme le maquis et celui de Lambesc se réunit dans les collines boisées environnantes, au plateau de Sèze et à la colline de Ste Anne. On murmure d’abord, on chuchote ensuite toutes les nouvelles concernant les hommes du maquis. Puis, on ne se gène plus pour en parler à voix haute. On apprend alors que ces hommes sont fortement armés, ayant trouvé des dépôts d’armes et de munitions. Puis on les voit descendre au village pour se ravitailler, chercher pâtes, confitures, vin et bétail qu’ils réquisitionnent d’emblée dans les usines et les fermes. Il y a alors à Lambesc, un groupe d’une vingtaine d’Allemands logés au poste des PTT. Un jour, un « maquisard » descendu bêtement au village armé d’un fusil mitrailleur, rencontre un de ces Allemands qu’il salue sottement. Ces Allemands sont donc sans aucun doute, avertis de la présence du maquis Lambescain.
Plus tard, elle écrit
…le dimanche 11 juin. Un terrible accident s’est produit ce jour là.
Les maquisards en ce début d’après midi dominical sont de nouveau descendus dans Lambesc. Ils ont réquisitionné d’office un énorme camion à l’usine Beaudoux car ils doivent se charger de munitions pour le maquis. Le camion ainsi lesté d’une quinzaine d’hommes armés passe imprudemment devant le poste allemand. Celui-ci qui pointe au passage tous les véhicules suspects leur intime l’ordre de s’arrêter, mais le camion poursuit sa route. Les Allemands tirent alors dans les pneus du camion tandis que les maquisards ripostent en tuant la sentinelle allemande….Les maquisards arrivent à s’échapper mais les Allemands continuent leurs recherches dans le village….Tous les hommes rencontrés dans les rues sont rassemblés à la gendarmerie pour identification…Le soir, tout semble rentrer dans le calme mais ce calme n’est qu’apparent car dans la nuit, on entend soudain un roulement significatif : des files de camions, de motos, autos, canons circulent à toute vitesse vers la colline Ste Anne et ses occupants….On entend à l’aube le crépitement des balles et des mitraillettes…Nous sommes tous bouleversés et terrifiés et à l’affût de nouvelles.
….Dans la colline, des feux apparaissent de toutes parts….Dans l’après midi du lundi 12, d’autres nouvelles terrifiantes nous parviennent : la gestapo armée circule dans le pays et s’empare de trois otages (Les noms suivent). On entend des coups de feu rapprochés….Les habitants se terrent dans leur maison. On voit quelques poursuites dans les rues faites par quelques individus d’aspect louche, armés. Nous sommes en pleine guérilla.
Les jours qui suivent nous apportent de terribles, d’atroces nouvelles : tous les jours, on trouve dans la colline environnante, des cadavres de maquisards fusillés alors qu’ils s’échappaient, d’autres, prisonniers d’abord puis fusillés de même, sans pitié. Ce sont des processions interminables vers le cimetière, des enterrements poignants, des scènes atroces ; la mort, la mort toujours. Et c’est dans cette atmosphère de deuil dans notre pauvre Lambesc mutilé que vint bientôt s’établir une compagnie de SS allemands, conduisant d’énormes et nombreux chars d’assaut qui s’installèrent aussitôt dans toute la périphérie…en représailles du maquis.
9 juillet (les dates sont en fait des têtes de chapitre qui recouvrent plusieurs jours. La date suivante est le 15 août)
….Tous les jours, on apprend de nouvelles arrestations. Aujourd’hui même, plusieurs anciens maquisards ont été arrêtés chez eux. Après de pénibles recherches, on apprend leur mort ; on retrouve leurs cadavres souvent laissés à l’air en pleine colline….
….Le 14 au matin, on apprend que ( ?) maquisards ont été fusillés à Cadenet. Ce n’est que quelques jours après que l’on découvre l’horrible charnier…..Bientôt, on dénombre les victimes et on en compte vingt-trois pour Lambesc. Dans le village, on évite les stations au dehors…..Les Allemands demeurés à Lambesc, voient avec indifférence se dérouler ces terribles événements dont ils sont la cause.
A suivre….Rendez vous manqué...