Bonjour,
PARTIE 1
Je souhaitais créer ce sujet mais le manque de temps libre fait que ... j'ai mis du temps à le sortir ... j'ai enfin pu me lancer il y a quelques temps dans le thème du japonais seconde guerre j'ai toujours voulu m'y lancer mais le manque de moyen et de temps ont fait que j'ai du me résoudre à reporter la chose.
Je ne fais pas dans les uniformes car ma passion s'est ancrée très tôt sur les drapeaux et les senninbari, objets émouvants et magnifique.
Le "senninbari" plus communément appelé par chez nous la ceinture aux milles points voir pour une traduction littéraire, la ceinture aux milles gens.
Quel est ce curieux objet ?
Il est méconnu dans nos contrées et même dans la collection il passe souvent inaperçu ... même si vous n'êtes pas collectionneur ou juste connaisseur de ce thème vous avez déjà vue sans aucun doute de nombreux drapeaux "hinomaru Yosegaki" signés par des amis, la famille, des collègues de travail, un professeur ... un objet alors très émouvant, très proche du soldat qui le portait souvent avec lui une pièce emblématique du combattant Japonais Heitai !
Mais ... pourtant un autre objet avait une portée tout aussi importante émotionnellement, historiquement et bien entendu spirituellement que le drapeau Yosegaki ... il s'agissait du "Senninbari", originellement appelé "Senshin" ou "mille points" ce terme fut rapidement changé et pour cause le mot ressemblait beaucoup à "Senshi" (戦死,) autrement dit "tué en action".
Son origine reste encore floue aujourd'hui, certains historiens avancent les dates de la première guerre Sino-Japonaise en 1894-1895 mais sa popularité atteignit son apogée pendant la conquête de la Mandchourie, la seconde guerre Sino-Japonaise et la seconde guerre mondiale (1931-1945).
La création de la ceinture était alors réservées aux femmes car seulement les femmes pouvaient crocheter un point, celles nées sous le signe du tigre (1890-1902-1914 ...) étaient particulièrement recherchées et pour cause elles pouvaient ajouter autant de points que leurs âges (une autre source cite 12 points) en plus d'avoir une portée spirituelle beaucoup plus importante, il était alors admis qu'une femme née sous le signe du tigre prodiguait une ténacité et une férocité renforcée en cousant un point, elles étaient perçues comme brave et courageuse, empreint d'une empathie pour ceux qu'elles aiment et chérissent.
Ces points servent donc à promulguer un vœux lorsqu'il est cousue, de chance, de survie, de prospérité, de courage ... pendant la guerre il était courant de voir une femme souvent la mère ou la sœur du soldat aborder les autres femmes dans la rue, les magasins et plus communément dans les gares ...
Les associations patriotique féminine ou même les écolières étaient alors mobilisés dans cet effort de guerre, produisant de manière 'industrielle" des ceintures de ce type, souvent pour en faire cadeau dans les sacs de réconfort destinés au soldat japonais, certaines ceintures pouvaient également se trouver dans des commerces, le modèle était acheté mais les points étaient encore à faire.
Photo d'une association de femme préparant des senninbaris
Photo d'écolières préparant également des ceintures aux milles points
Photo plutôt rare car elle montre un homme sans doute fraichement mobilisé demandant à une passante de crocheter un point sur sa ceinture en 1943.
La pratique est tellement ancrée dans la société Japonaise qu'elle s'illustre également dans les cartes postale patriotique ou sous forme de dessins comme ce sac de réconfort illustrant une femme et son enfant préparant une ceinture.
La taille, la couleur et le format des senninbari varient indéniablement ... la ceinture est plus communément acceptée mais il est possible de trouver des senninbari sous forme de chapeau/calot, de veste ... la fabrication lorsque le modèle n'est pas issu du commerce est là aussi très varié parfois indicateur du milieu sociale par exemple en ce qui concerne la matière, une ceinture en soie étant plus onéreuse qu'une ceinture en coton ... la couleur la plus commune est le blanc pour la ceinture et le rouge pour les points, le rouge symbolisant la chance au japon, le contraste blanc/rouge donnant également une référence au drapeau du pays, il est cependant possible de voir d'autre coloris, plus rare comme le jaune ou le vert ...
Ces ceintures étaient donc très importante pour le soldat japonais non seulement encore une fois pas sa portée spirituelle en plus d'être un objet confectionné par la famille mais y trouvait aussi une utilité certaines dans les régions froide protégeant du froid mais également aussi et tout simplement par sa protection d'une zone importante dans la société Japonaise, le ventre ou plus simplement le "Ki", le centre de l'énergie vital, haut symbole, considéré comme le souffle de la vie, la force vitale intérieure.
Le contrepoint du Ki est le "Chikara" ( signifiant ; force/pouvoir), représentant la force extérieur, physique et musculaire du guerrier, En maitrisant sa respiration abdominale (ki) le guerrier était alors plus en mesure de contrôler sa force physique (chikara), certaines pratiques d'arts martiaux poussaient ces valeurs en ce sens comme le Kuendo ou le Sumo, le guerrier qui trouvait alors l'équilibre entre la force intérieur et la force extérieur était considéré comme un guerrier accompli.
Au fil du temps les militaristes et leurs valeurs prenant le pas sur la société Japonaise, les concepts de Ki et Chikara en firent une religion à part entière se combinant à la religion d'état qu'est le shintoïsme donnant naissance entre autre à la valeur du Bushido et des premiers samouraïs, le symbole de s'ouvrir le ventre (Hara-kiri) prenant alors tout son sens.
Il est d'ailleurs ironique de penser que le senninbari est censé protéger son porteur, une croyance pousse en l'exact opposé, le ceinture étant certes censée protéger son porteur d'une blessure grave ou la mort mais ... seulement pour qu'il puisse se sacrifier utilement à la cause de l'empereur et du Japon, cette croyance est appelée Jinchu-Hokoku.
Encore une fois l'origine exact du senninbari reste flou, combinant histoire et croyance ancienne certaines sources vont vers la croyance du Goriki Kigan, la notion voulant que la force spirituelle de plusieurs personnes (illustrés par les points) priant pour le retour sain et sauf de l'être cher et aimé se manifeste à travers cet objet.
Faire bénir la ceinture via l'apposition de tampon de sanctuaire/temple ajoute encore à cette croyance un effet supplémentaire.
La croyance ne s'arrêtait pas là, il est possible de trouver des ceintures avec des pièces cousues.
Ajouter la pièce de 5 et de 10 sen forme le message conjoint ; "nous surveillerons vos arrières ... (15 sen) ... que tes combats soient des victoires faciles (10 sen) ... et par dessus tout puisse tu rentrer sain et sauf (5sen).
La pratique de coudre 5 sen était pour surpasser le mot 4 "shi-sen" (死線) traduit comme "la ligne de la mort".
La pratique de coudre 10 sen était pour surpasser le mot 9 "ku-sen" (苦戦) traduit comme "combat difficile".
Il était également possible d'ajouter des petits pochettes sur la ceinture pour y inclure un talisman, une prière, une photo, un testament ou des mèches de cheveux de la personne aimée ...
Cette ceinture (ouverte) fut récupéré par un vétéran Américain de l'Illinois, représentant un tigre inachevé sur la queue, sur son œil est cousue une pièce de 10 sen (animal très important qui fera la partie d'un second sujet) elle est en soie, le destin de son porteur originel ne laisse pas place à beaucoup de doute ... la ceinture est tachée de nombreuses traces de sang par endroit, il semble même y voir les empreintes d'une main, le tampon en anglais, assez rare est la commission de surveillance/vérification des prises de guerre dans la pacifique, le soldat américain devait normalement faire contrôler chaque objets par cette commission ... histoire de vérifier qu'il ne comportait pas d'infos précieuses (photos, plan de bataille etc ...) dans les faits les objets étaient rarement déposées dans ces commissions ... les vétérans ne retrouvant parfois pas leur dépôts, en effet certains objets comme les drapeaux ou les ceintures se vendaient à prix d'or à l'arrière ... "la disparition" n'était pas rare ...
Vue sur les tampons (merci au regretté Nick Komiya et à Guy sur WarRelic pour la traduction) :
Bouche du tigre / 秩父神社
Chichibu jinja
https://en.wikipedia.org/wiki/Chichibu_Shrine
Derrière la queue / 多賀大社
Taga Taisha
https://en.wikipedia.org/wiki/Taga-taisha
Le dernier tampon, compliqué à traduire, caractère ancien ...
日之光宮
Hinomitsu-gu ????
Puisque tout ces vœux de bonnes fortunes étaient placés dans les senninbari, certains soldats croyaient donc dur comme fer que le sennnibari procurait véritablement un pouvoir de protection pendant les combats, les histoires de soldats disant avoir échappés à la mort grâce à ces ceintures sont compréhensible, évidemment, la portée n'étant pas moindre ni si différente que la figure de la vierge Marie ou du sacré cœur cousue dans la capote du poilu de 1914 ou la bible du soldat américain en 1944.
Comme vous vous en doutez beaucoup de vétérans Japonais confieront qu'ils ne croyaient pas au pouvoir de protection de ces ceintures mais ils les portaient tout de même par respect pour les femmes qui les avaient fabriquées mais aussi et tout simplement car cela était aussi un objet qui rappelait le pays et la famille qui était si loin.
Une autre ceinture, 1m65 sans les sangles qui est cette fois en coton, elle provient du Japon, sans doute un soldat rentré sain et sauf chez lui, un compartiment était présent au milieu mais malheureusement arraché, il; devait contenir un document, une prière ou un talisman, la fabrication est très belle mélangeant des points or et rouge pour former des fleurs de cerisier et deux lettres signifiant ; Honneur et loyauté, une pièce devait également être cousue mais fut arrachée à un moment ou à un autre, il n'était pas rare que ça disparaisse lors des combats.
Provenant du Japon également, une ceinture plus rare dans sa conception, le tissus est jaune avec des points verts, elle devait se porter en travers du buste en bandoulière car elle est très grande (2m30 !) mais aussi à cause du sens de l'écriture, une prière est inscrite qui se traduit en Français par ; « Namu ami dabutsu ». Namu ami dabutsu est une prière de la secte Jodo shinshu du bouddhisme japonais. Le terme japonais Jodo shinshu signifie « La véritable essence de l'enseignement de la Terre pure ».
Il est également connu sous le nom de bouddhisme Shin et a été fondé par l'ancien moine japonais Tendai Shinran. Le bouddhisme Shin est reconnu comme la forme de bouddhisme la plus largement pratiquée au Japon.
Le nom Hamada Yoshikazu est écrit à coté de la prière, sans doute celui du soldat.
Autre modèle de ceinture, grande également 2m10 sans les cordelettes, très humble la famille ne devait pas être très riche, la matière est en gaze de coton, son intérêt réside aussi dans son compartiment central encore intact ! Sans doute une prière à l'intérieur mais un petit document marron/jaune y est présent également, une image d'un saint comme Fudō Myō-ō ou peut être une photo.
Les points forment des fleurs de cerisier et les mots :
勝利
Shōri
Victoire/triomphe
Dans sa forme moins commune cette fois, un gilet portant l'inscription "grande victoire de l'armée impériale".
Un autre type de ceinture moins courante est appelée "Senninriki". Très similaires au Senninbari dans la conception sauf que ces dernières sont réservées aux hommes et au lieu du point, le caractère Japonais
力 signifiant "force" ou "Chikara" en Japonais est écrit mille fois.
Sa portée spirituelle est importante car cela est censé conférer une grande force à son porteur.
La tâche est cependant tout aussi compliqué car elle requiert 1000 hommes, la pratique du senninriki est courante dans la région de Kansai et beaucoup moins dans celle de Tokyo ou le senninbari y est plus largement répandu.
Il est certes rare mais pas impossible de croiser le combo senninbari/senninriki.
Pour illustrer cette pratique je vous propose de découvrir cette ceinture.
Elle fut récupéré par un soldat américain lors des combats sur les îles Salomon, elle est très belle mais aussi très intéressante, la façon dont les informations sont écrites laisse penser que ce fut le soldat qui fabriqua cette ceinture, si tel fut le cas il était sans doute quelqu'un de très superstitieux car tout y est fait pour maximiser sa bonne fortune dans la guerre.
Malheureusement ... le contexte de la découverte et la tâche de sang laisse peu de doute sur son destin pendant le conflit ...
Cette ceinture est bien marquée du nom de Masayuki Nakano, il était un résident du village de Higashi-Santo, comté de Kaisou de la préfecture de Wakayama. La ceinture contient plusieurs tampons de sanctuaires de Wakayama, comme le sanctuaire d'Itakiso.
La ceinture si elle était restée fermée, représentant les 1000 points avec le slogan célèbre de l'époque Inori buun chōkyū "fortunes éternelles au combat", un tampon d'un sanctuaire est visible au milieu comme décrit plus haut.
Comme elle est ouverte (sans doute par le vétéran) elle permet de mieux apprécier l'ensemble de son contenu et les détails, le revers des 1000 points figurant cette fois le drapeau du japon et les points, en dessous la partie secondaire qui est le senninriki, marqué du même slogan avec cette fois 4 tampons de sanctuaire et une pièce de 5 et 10 sen cousues à l'intérieur.
La vue du senninriki en repliant la ceinture de l'autre coté.
évidemment au fur et à mesure du conflit fabriquer ces ceintures devenait de plus en plus compliqué, les vagues de mobilisation étant de plus en plus rapide, les bombardements sur les populations civils et sans compter les restrictions sur les matières première comme le coton, la soie ... le senninbari se fait plus rare par manque de temps, de matière ... certaines ceintures se présenteront avec des points peints et non plus cousus, la portée spirituelle étant sacrifié pour le rendement de masse ces ceintures n'étaient pas très populaire auprès des soldats.
La cause y est aussi sanitaire ... Il est habituel de recouvrir les points en fermant la ceinture, les ceintures ouvertes, exposant les points à l'air libre, refuge idéal pour les poux, à tel point que les ceintures furent comiquement appelées "les ceintures aux 1000 poux".
Le senninbari sera le compagnon du soldat Japonais pendant toute la guerre, de la Chine à Okinawa en passant par Peleliu et Iwo Jima ... il y attachera ses espoirs, ses peurs, sa souffrance ... il sera un des rares symbole représentant encore sa famille dans un contexte de sacrifice total.
j'ai voulu créer ce sujet en hommage à cette pièce un peu boudée de manière générale, j'espère que vous avez aimé et apprécié la lecture et la découverte de ce sujet que j'enrichirais sans doute dans le futur d'où le fait de marquer partie 1 ... car quand j'aurais un peu plus de temps j'enrichirais le sujet de d'avantage d'infos et de photos y compris d'époque.
Source utilisées pour le sujet :
- battle carried imperial Japanese tiger art de Michael D Bortner
- imperial Japanese good luck flags and one thousand stitch belts de Michael D Bortner
- Nambu world : http://www.nambuworld.com/senninbari.htm
- Heitai de Augustin Saiz
Soldats Japonais portant des gilets des milles points ainsi qu'une couvre chef (hachimaki)
Soldat portant une ceinture senninbari